Mathieu KLEYEBE ABONNENC : Le Palais du paon
Le rêve américain est ces temps-ci bien mis à mal par les critiques du consumérisme et de l’idéologie du toujours-plus, liées au sentiment d’insatisfaction qui en résulte, alliées au stress et aux déchets générés par la croissance économique. Le capitalisme comme forme économique de l’esclavage n’est plus aux yeux de nombreux chercheurs une simple légende tenace.
Le mythe de l’eldorado né dès le XIIe siècle, va devenir le moteur de la rencontre et du passage du milieu chez les conquistadors au XVe, générant, pour un capital symbolique, des sociétés nées de la dépossession de la violence et de la colonisation, engendrant des catastrophes humaines et écologiques irrévocables.
Cet amalgame est à l’image d’un placer*, si sédimenté, que philosophes, poètes, anthropologues et artistes se proposent d’extraire du filon principal des œuvres exprimant la réparation, comme par opération psychanalytique de la pierre philosophale.
Abonnenc, tel un prospecteur alchimiste, procède comme par lixiviation (extraction de produit par un solvant) : dans son auge trois filons baignent dans un univers de réalisme magique, tournoyant sous les charpentes du Château de Rochechouart transfiguré en plateau des trois Guyanes.
Nous accueille un triptyque de peintures ton sur ton au cinabre sur cuivre, inspirées de la gravure de Théodore de Bry où des amérindiens nus coulent de l’or dans la bouche du conquistador avide. Elles instillent l’histoire d’Atahualpa, dernier empereur inca, capturé par Pizarro, qui proposa en rançon de sa libération, de remplir une pièce entière d’or et d’argent.
Ensuite, une mise en espace de la fréquentation par l’artiste de la pensée du guyanien Wilson Harris, décédé en mars dernier. Exprimée dans le « Palais du Paon », sa théorisation d’une anthologie de l’anti-ego, propose une reconstruction du Soi par l’art, partant du postulat que les trois Guyanes sont géologiquement et socialement plus sud-américaines qu’afro-caribéennes. Le Quatuor Guyanais 1 de Harris est prétexte à l’élaboration de joyaux pour le château. S’évertuant à rendre à césar et à dieu ce qui leur revient, Abonnenc met en écho l’instrument primordial de la cosmogonie inca : une flûte de pan – mais en os d’envahisseur cannibalisé, avec des tuyaux d’orgue en cuivre s’élevant depuis le sol en résonnance avec la pollution irréversible des terres imbibées par les extractions d’or, au cuivre, mercure et cyanure. Trône un majestueux rideau en plumes de paon.
En troisième lieu, par un court-métrage, il nous amène sur les ruines de sa maison familiale, le long du fleuve Maroni dans le village aurifère de Wakapou déserté une fois le filon tari, où la forêt amazonienne a repris son droit sur les orpailleurs. Dans sa poche, Les Gens de l’or, 1998 : étude du site par l’ethnologue Strobel.
Le noir et blanc enclenche par contraste une filiation sud-américaine sur la représentation de la Guyane, en hommage aux cinéastes Sarah Maldoror 2 et Nelson Pereira Dos Santos. 3
* gisement de minerai
1 Quatuor guyanais, 1963
2 Léon Gontran Damas, 1995
3 Vidas Secas, 1963
Par David Oggioni
Infos :
le FRAC Ile-de-France invite le FRAC Grand Large – Hauts-de-France
Château de Rentilly – FRAC Ile-de-France
1 rue de l’Etang, Bussy-Saint-Martin
jusqu’au 22 juillet 2018