Marion Flament — Un art de la lumière

Par Matthieu Corradino12 octobre 2023In Articles, 2023

 

L’œuvre de Marion Flament réside bien souvent en des installations, mais n’y est pas réductible, car elles contiennent aussi le lieu où elles se situent. Il s’agit d’un espace-ambiant, d’un halo dématérialisé, saturé de reflets flottants et d’ombres fantomatiques, produites par des sources lumineuses qui éclairent toujours ses pièces.

La couleur ambiante qui embrasse les installations de l’artiste n’est cependant pas celle de leurs éléments principaux mais l’effet d’apports chromatiques extérieurs, les uns naturels (solaires, lunaires, bougies), mais également artificiels (provenant d’ampoules, de néons ou même d’effets plastiques de clair-obscur). En témoignent les installations des vitrines de la Samaritaine, qui sont une illustration de la thèse de Michel-Eugène Chevreul (1786-1889) posant hardiment que les objets n’ont pas de couleur propre mais celle de la lumière environnante.

Cette lumière est souvent imprégnée de l’esprit des lieux, du genius loci, que son art investit, lieux qui portent en eux une histoire. C’est le cas à Lisbonne, chez Fertile, à Chapelle XIV, à la Synagogue de Forbach, et, bien sûr, à la Samaritaine. La lumière réveille donc aussi des représentations du passé, un temps qui n’est pas un repère extérieur mesurant le mouvement géométrique des corps mais un temps intérieur à ceux-ci. Un temps qui établit un lien intime, de sympathie profonde, entre un lieu déterminé et sa mémoire qui résonne profondément en nous et en lui. Ce temps qui donne de la durée à certains lieux pour en faire des hauts lieux. Henri Bergson le nomme à juste titre «durée», temps concret, intérieur aux choses et aux êtres, qui les épaissit de tout le passé qui les hante, qui leur donne de la consistance. C’est le contraire du temps abstrait et vide de la physique.

C’est dire que les installations de Marion se déploient non seulement dans un espace qualitativement unique mais aussi dans la temporalité d’un récit qui les suit comme leur ombre, et qu’elles se déploient dans un continuum spatio-temporel, qu’elles se développent au sein d’un élément amniotique quadridimensionnel. Cela devient parfaitement explicite dans son exposition au Bastille Design Center (2022) où les suspensions mobiles baignant dans une lumière artificielle suggéraient la luminosité nocturne de la lune empilant des chapelets d’objets évoquant les récits mythologiques philippins.

Ce fluide généré autour des installations de Marion par une lumière imprégnée de temporalité frôle l’immatérialité, voire la spiritualité. Toutes les œuvres comportant en effet des vitraux, adhèrent à la mystique de l’art du vitrail au Moyen Âge, inauguré sans doute par l’abbé Suger dans l’ancienne église abbatiale de Saint-Denis (actuellement basilique) et première cathédrale gothique du XIIe siècle. Pour Suger, les vitraux, qui ont dans l’obscurité la couleur sombre et opaque des châssis de plomb qui les encadrent, sont dématérialisés par les rayons du soleil qui les traversent. Ceux-ci font disparaître sous nos yeux leurs cadres de plomb en produisant la fusion des couleurs de chaque vitrail en un flot polychrome unifié, symbole de la présence divine.

Suger illustre par les vitraux de Saint-Denis les idées du mystérieux mystique chrétien, Le Pseudo-Denys, ayant vécu vers le VI siècle. Selon Le Pseudo-Denis, la lumière est la plus belle image de la présence spirituelle divine qui crée et unifie le monde: une image résumant bien une certaine mystique chrétienne tributaire du néo-platonisme, système philosophique qui conçoit le monde matériel comme l’émanation d’une unité spirituelle, immatérielle se fragmentant à sa périphérie en une multiplicité de particules matérielles pesantes et obscures.

L’artiste s’inspire librement de cette vision dans certaines de ses installations. C’est le cas du diptyque présenté à l’Espace Niemeyer (2021) où elle rabat la lumière sur les vitraux en déviant de 90° sa trajectoire. Elle occupe ainsi le centre blanc immaculé de la composition, symbolisant une sorte d’axis mundi, qui chasse la multiplicité de vitraux latéraux sombres et bitumineux sur les côtés. Autant les interstices de plomb des châssis apparaissent clairement et distinctement dans les zones latérales noires du diptyque, autant ils sont presque effacés par les vitraux blancs scintillants du centre. Belle image de la lumière chassant les ténèbres dans le regard ce ceux qui se tournent vers l’unité spirituelle du monde.

À Lisbonne, pour sa résidence à la Junqueira (2023), ce sont les lumières constituant l’histoire de la ville qui sont mises en scène. L’éblouissement par la brillance des reflets de l’architecture est mis en regard de la lumière du feu, faisant partie du récit des incendies l’ayant détruite lors du tremblement de terre de 1755. À travers ces œuvres, le temps coule par le feu, la suie, la limaille de fer. On y observe une liquidité visuelle. Dans ce travail, le verre cristallise le temps, mais n’empêche pas son écoulement. On y retrouve les suspensions de céramique et de verre où le temps se répand comme dans un goutte à goutte. Il y circule mais est ralenti, freiné. Le dialogue entre la lumière artificielle de la vidéo-projection et celle naturelle des chandelles habite l’espace de ses fantômes, apparaissant par le dessin précis des ombres.

La lumière, pourrait on conclure, est personnalisée et non plus abstraite : elle se cristallise à travers les œuvres de Marion pour faire transpirer des murs l’histoire et l’âme des lieux.

Pour son exposition personnelle à la galerie Romero Paprocki à Paris, elle a développé le projet Combler le jour s’articulant autour de l’ambivalence de l’espace des combles de la maison. À la fois lieu protecteur de notre passé et matière de l’imaginaire fantasmatique.

 

Combler le jour

du 25 novembre au 13 janvier

Galerie Romero Paprocki

8 rue saint Claude, Paris 3e

 

Autres expositions :

Les Halotopies, septembre 2023

Parc du salin des Pesquiers, Hyères

Luxembourg art week, 10-12 novembre 2023

Exposition à la Chapelle de Turlande, Auvergne, Été 2024

« Le Verre », Fondation Hermès, La Grande Place, musée du cristal Saint-Louis, du 16 novembre 2023 à avril 2024