MARCOS AVILA FORERO, Lauréat du Prix de la Fondation d’Entreprise Ricard 2019

Par Maya Sachweh17 janvier 2020In Articles, Portrait, 2020, Revue #24

 

« Chacun de mes travaux commence par une rencontre : celle d’un lieu, d’un document, d’un contexte historique ou politique, d’un groupe de personnes. L’être humain est le personnage principal. »

La plupart des installations, vidéos, sculptures ou photographies de Marcos Avila Forero sont le fruit d’un long processus de travail collectif avec des « collaborateurs » étrangers au monde de l’art, mais directement concernés par le projet, qu’il aide à renouer les fils de leur histoire. Dans l’une de ses premières vidéos, A Tarapoto, un Manati, on suit son travail de plusieurs mois avec les habitants d’un village reculé d’Amazonie, qui, malgré leur isolement, sont rattrapés par la civilisation et ont plus ou moins oublié leurs traditions ancestrales, dont les légendes liées au Manati, animal mythique et sacré, aujourd’hui disparu. D’après les récits des Anciens et à l’aide d’un vieux sculpteur, l’artiste a reproduit l’animal dans un tronc d’arbre, sur lequel un jeune chamane a ramé jusqu’au lac Tarapoto où il l’a laissé partir à la dérive. Le Manati a de nouveau disparu, mais les villageois ont retrouvé une partie de leur histoire.

Le travail de Marcos Avila Forero est intimement lié à sa biographie sans être autobiographique. Fils de militants politiques colombiens émigrés en France, né en 1983 à Paris, il a grandi dans des villages aux alentours de Bogotà avant de retourner à Paris pour échapper au service militaire et s’inscrire à l’Ecole des Beaux-Arts dont il est sorti en 2010 avec les félicitations du jury. Depuis, il retourne régulièrement en Colombie pour des projets « participatifs ».

Entre autres, il demande à des paysans chassés de leurs terres par les conflits armés d’écrire leur histoire sur des toiles de jute qui sont ensuite effilochées pour tresser des « alpargatas », chaussures en jute traditionnelles (Suratoque, Palais de Tokyo, 2012). Avec une équipe d’anthropologues, il se rend dans un village au bord de l’Atrato, autoroute fluviale au centre du conflit armé en Colombie, village habité par les descendants d’anciens esclaves africains, dans le but de faire revivre une coutume oubliée qui consistait à frapper l’eau du fleuve d’une façon rythmique pour alerter les riverains d’un danger. Ces battements évoquent également les rafales de tirs vécues par les villageois aujourd’hui encore (Atrato, Biennale de Venise, 2017).

Pour Marcos Avila Forero, politique rime avec esthétique et poétique. Son engagement ne s’exprime pas en coups de poings, mais en messages subtils et plastiques souvent extrêmement complexes, comme son projet présenté au Prix de la Fondation Ricard (commissaire Claire Le Restif) : Notes sur le geste ouvrier. Partant du système de transcription de gestes, élaboré par le chorégraphe Rudolf Laban, il demande à des retraités d’une usine métallurgique japonaise de reproduire leurs gestes de travail à la chaîne. Ceux-ci sont transcrits par un spécialiste de la méthode Laban, puis retranscrits en calligraphie gestuelle japonaise. Dans l’installation à la Fondation Ricard, les vidéos des ouvriers, rouleaux de calligraphie et documents de travail étaient présentés sur le fond d’un quadrillage évoquant la grille de mesure d’optimisation du travail à la chaîne prônée par le taylorisme.


INFO PRATIQUES :

Prix de la Fondation d’Entreprise Ricard 2019
Centre Pompidou
Place Georges Pompidou, Paris 4è
juin 2020