Maha Yammine

Par Alexia Pierre29 septembre 2022In Articles, 2022, Revue #29

 

 

Née en 1986 à Beyrouth, diplômée de l’École Supérieure d’Art et de Design de Valenciennes en 2016 et de la faculté des Beaux-Arts à l’Université de Beyrouth en 2014. Elle vit et travaille à Rouen.

« Mending ». Allusion au reprisage de la fibre textile autant qu’au tissu social de nos relations, l’homologue anglais de « raccommoder » enchevêtre l’installation … de torchons et de serviettes (2020) de Maha Yammine.

Abandonnés des cuisines et rescapés des ordures, les voici suspendus entre plafond et mur. Dix torchons brodés s’exhibent dans l’espace. Aux formes, motifs, et cicatrices variées, aux couleurs délavées, ces pièces de tissus furent récupérées par l’artiste auprès de quelques foyers de la commune normande d’Yvetot, avant d’être reprisées. Ni plus ornements qu’attributs domestiques, elles se retrouvent démunies de toute fonction et n’incarnent désormais plus que le souvenir. Souvenir de deux paires de mains qui brodent.

Après la nappe dé-brodée de Backwards (2018) ou les douze napperons de Calendrier (2019-2020), clins d’œil ironiques à la conception du trousseau de mariée, l’artiste détourne cette tradition une nouvelle fois. Le temps passé, partagé, entre mère et fille offre à ces chiffons, plutôt qu’une riche étoffe, une valeur restaurée. Points de crochet et dentelles pansent les écorchures de ces rebuts textiles recousus. Suture, soin et réparation sont ici superposés. L’installation nous rappelle que ces objets, compagnons de nos quotidiens, témoignent à travers leurs plaies des micro-histoires qu’ils ont partagées.

Au-delà des objets vecteurs de souvenirs, c’est au gré des gestes et des jeux que l’artiste libanaise puise dans la mémoire d’une enfance imprégnée de la guerre civile de son pays. En reénactant une partie de bille interrompue, avec Jeu de gamins (2015), ou en reconstruisant des Obus (2015) de sable, le ludique apparaît comme acte collectif de défiance, si ce n’est de résistance. Dans Fanfare (2017), où un couple reprend pour la première fois les tambours les ayant rassemblés pendant le conflit, c’est aussi cette réactivation de la mémoire des corps que l’artiste filme sur le vif. Les automatismes, preuves d’une résilience partagée.

Chacun de ces ravivements instantanés de souvenirs enfouis naît d’une conversation entre l’artiste et des complices. Ce temps d’écoute, permettant aux récits intimes d’être excavés et aux œuvres de choisir leur médium, est constitutif du travail de Yammine. Les espaces de partage ainsi ouverts prennent également la forme de séances de storytelling ou de jeux de carte, et se retrouvent dans sa démarche participative, en s’immisçant parfois jusque dans l’exposition.