madeleine’, à la recherche des souvenirs perdus

 

 

« …de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé… » (Marcel Proust, Du côté de chez Swann)

Le travail sur la mémoire individuelle et collective est commun à de nombreux artistes contemporains. La Galerie Dohyang Lee a réuni des œuvres d’une dizaine de jeunes artistes d’origines diverses (française, sud-coréenne, chinoise, anglaise, brésilienne, cubaine) qui abordent, chacun.e à sa manière, les effets du temps.

 

Par quoi essaie-t-on de retenir, ou mieux, de fixer les souvenirs ? Une des premières réponses est l’écriture. Mais est-elle vraiment fiable et pérenne ?

 

Elisabeth S. Clark en doute. Billets doux ou Mes pensées cachées est une série d’œuvres participatives où l’acquéreur de la « boîte à outils » est invité à inscrire une pensée sur une feuille blanche avec de l’encre violette (les deux fournies par l’artiste) et de tremper la feuille dans l’eau pour progressivement faire disparaître l’écriture. Métaphore du caractère éphémère de la mémoire, des sentiments et de la vie même.

 

Alexandra Riss est plus confiante, elle transforme l’écriture en broderie, donc forcément indélébile. Elle expose une pièce intimement liée à un souvenir personnel douloureux, le décès d’un ami. Pour garder la trace de la personne disparue, elle a brodé le texte de l’oraison funèbre, un poème indien, sur la robe qu’elle portait aux funérailles. La robe devient un objet de résilience, la broderie un geste rituel, le texte un mantra répété à l’infini, prolongé dans la pièce sonore qui accompagne la robe : l’enregistrement du son de l’aiguille de broderie qui traverse le tissu, ressemblant étrangement à un souffle, signe de vie par excellence.

 

Les mouchoirs en tissu de Namhee Kwon font en quelque sorte écho à la robe d’Alexandra Riss, elle y a imprimé la phrase When You Cry… I will Cry too (quand tu pleures, je pleurerai aussi). Dans une autre pièce, elle a recopié le journal de Virginia Woolf à la main, lui restituant l’état premier de manuscrit, mais à travers son écriture à elle.

 

Jenny Feal reprend l’idée du journal intime en écrivant des extraits du sien sur des assiettes en argile émaillé. Ils sont tout sauf « taillés dans le marbre » : si l’assiette (unique) se brise, le souvenir part en miettes, difficile d’en recoller les morceaux.

La mémoire est par définition immatérielle, une « vue de l’esprit », des images virtuelles imprimées dans les cellules de notre cerveau. Comment les rendre visibles et/ou palpables ?

Il y a évidemment la photographie, censée fixer un moment « pour l’éternité ». Mais l’objectif est bien souvent subjectif, reflétant plutôt la vue du photographe que la réalité.

 

C’est ce que démontre Emmanuel Tussore dans sa série Promenade de digestion. Il y détourne les photos prises par un jeune officier français entre 1917 et 1920 dans l’ancien Empire ottoman, entre les Balkans et Constantinople, des images anecdotiques et presque idylliques qui nient (délibérément ou non) la réalité historique. Pour restituer la violence et le tragique de l’époque, l’artiste a colorié ces images, les a couvertes d’aplats à la manière des fauves et expressionnistes, accentué le contour des personnages pour faire des figurants des acteurs de l’Histoire.

Qui dit souvenir pense immédiatement aux souvenirs de voyage, aux cartes postales, monuments miniatures, flacons remplis de sable ou de parfum, boules de neige…

 

Yue Yan les tourne en dérision dans son installation Borrowed Wishes (souhaits empruntés) : une bouteille en plastique contenant de l’eau de la fontaine de Trevi et une pièce de monnaie. Libre au regardeur de faire jouer son imagination pour trouver les multiples messages contenus dans la bouteille et l’installation.

 

Jenny Feal et Alexandra Riss ont fait partie du programme vidéo d’Artaïs « Parole d’artistes confiné.es » à voir sur notre chaîne YouTube :  

https://www.youtube.com/playlist?list=PLyGK0qyWQKh71FYaamiFNV_kwSDkCNgdc


INFOS:

Galerie Dohyang Lee

73-75 rue Quincampoix, 75003 Paris

‘madeleine’

Exposition collective visible jusqu’au 25 juillet 2020

Artistes :

Clarissa Baumann, Elisabeth S. Clark, Jenny Feal, Minja Gu, Doyeon Gwon, Kihoon Jeong, Namhee Kwon, Alexandra Riss, Emmanuel Tussore, Yue Yuan

www.galeriedohyanglee.com