LUCIE PICANDET AU « SOIR DU POULPE »

 

Repérée au Salon DDESSIN en 2013, Lucie Picandet est lauréate du prix Emerige en 2015 puis du prix Drawing Now en 2018. À cette occasion, elle bénéficie d’une exposition personnelle au Drawing Lab, en partenariat avec la galerie Georges-Philippe et Nathalie Valois qui la représente.

 

Formes organiques, viscosités, muqueuses volantes et cellules agglomérées : l’étrange univers de Lucie Picandet évoque tout à fait l’intérieur d’un corps humain. Cette artiste entre dans le dessin comme le scalpel dans l’épiderme. À la manière des écorchés, c’est une idée de l’être physiologique qui est exhibée sur des pseudo planches anatomiques. L’esthétique un peu désuète des manuels de biologie participe à la confusion générale. Formes et images sont classifiées dans des parodies de légendes, schémas et graphiques, avec des couleurs parfois tranchées qui rappellent la fonctionnalité de chaque chose. De loin, on se croirait dans la salle d’attente de l’orthophoniste.

Dans la lignée de son professeur aux Beaux-Arts, Jean-Michel Alberola, Lucie Picandet imprègne son travail plastique de références au cinéma et à la littérature. De la ligne de l’écriture à celle du dessin, il n’y a qu’un pas. Parce que l’exploration de soi butte parfois sur une absence de mot, l’artiste propose de nouvelles définitions, qui prennent en compte la charge poétique de ce qui est à la fois émotion, organe et pensée. Ce rapport structuraliste du signifiant au signifié est aussi cérébral que sensoriel. Ainsi : « Agents vouleurs : agents émophoniques saxiphrages, traversant la pierre en attirant à la surface le désir de vivre du premier cri d’hui ». Ce que l’artiste nomme « émophones », « morceaux d’émotions sonores » n’est pas sans lien avec les mots d’esprit prisés dans les salons du XVIIIème siècle et tout le potentiel comique qui les accompagne. Associés à une image souvent familière mais inconnue, les mots inventés se glissent dans des phrases aussi absurdes que doctorales. Ces énoncés aux accents mallarméens établissent également une cartographie de la conscience où micro- et macrocosme sont liés, tout comme la bile dépendrait de la rotation des astres. Ces cadavres exquis – au sens propre comme au figuré – s’accordent très bien au vers de Verlaine : « Votre âme est un paysage choisi ».

Le réseau synaptique des pensées s’étend sur le papier comme sur de la peau. Particulièrement sensuel est ainsi le rapport de Lucie Picandet au dessin qui est également rapport à son propre corps.  Il n’y a pas que son coeur qui soit ici mis à nu. Déployer le détail du tissu nervuré à la lumière du jour comme une chaussette retournée invite à jeter toute distinction entre low et high art, corps noble et bas.

Pour son exposition au Drawing Lab, Lucie Picandet complète ses séries d’ « Emophones » par des planches de storyboards, mettant directement en scène le voyage intérieur auparavant suggéré. Une ballade aux Puces, l’observation des bibelots à travers le prisme d’une caméra, la découverte d’une vieille photo et la descente dans son propre organisme : voici le fil conducteur du parcours labyrinthique et sensoriel proposé. Le Soir du Poulpe invite à se perdre dans ce dédale vivant, anfractueux, visqueux, collant, bouché, qui étend son réseau tentaculaire sur les images, comme la pensée se développe par association d’idées. « L’espace-temps est un mollusque très affectueux et plein de surprises qui s’est émancipé de son coquillage par la force des choses », nous annonce-t-elle.


INFOS :

Le Soir du Poulpe
Drawing Lab
17 rue de Richelieu, Paris 1er
du 30 janvier au 21 février 2020