Lubaina Himid, une première française au Mrac Occitanie
Lauréate du prestigieux Turner Prize 2017, Lubaina Himid (née en 1954 à Zanzibar) également commissaire et écrivain, est remarquée pour son engagement autour du Black Art Mouvement se saisissant de l’histoire de l’art occidentale pour questionner le colonialisme, la traite des esclaves et le manque de représentation des Africains dans la culture et les médias. Elle poursuit actuellement en tant que professeur à l’université de Lancashire, un travail de recherche intitulé « Rendre les histoires visibles »/Making histories visible », l’une des clés de compréhension de son œuvre.
Le titre de cette première exposition en France à l’invitation de Sandra Patron, directrice du MRAC, « Gifts to Kings » renvoie à l’installation qui fait office de pivot à l’ensemble, nommée « Naming the Money » (2004) à partir d’un procédé emprunté au théâtre de figures en contreplaqué peintes renvoyant à ces ouvriers et petits artisans issus des contingents d’esclaves qui ont payé leur tribu à la grandeur de la nation britannique. Ce principe qui suggère aussi une implication physique du spectateur était apparu dans une précédente et décisive pièce de 1896 « Un mariage à la mode » tirée de la veine satirique de William Hogarth.
Le parcours commence à partir de l’énigmatique tableau « Le Rodeur » de 2016 qui instille une sorte de malaise face à un groupe de 5 personnages étrangement déconnectés les uns des autres, dont l’un porte le masque d’un oiseau. Si chacun regarde dans une direction différente c’est bien parce que cet organe est la clé de l’histoire inspirée d’un sombre fait divers, soit l’évènement tragique survenu à bord du bateau d’esclaves le Rodeur en 1819 où quelques 160 esclaves furent privés de la vue. Sous un aspect très raffiné des couleurs et du traitement, Lubaina redonne vie à ces parties cachées et violentes de la grande histoire.
Il en est de même avec « Cotton.com« de 2002 où à partir du motif décoratif ornemental et féminin, il est question de l’épisode de la famine du coton quand par solidarité avec les esclaves afro-américains, les ouvriers de Manchester se sont mis en grève pendant la guerre de Sécession. Pour l’artiste, cette conversation entre deux continents est déterminante dans l’approche du dialogue qu’elle propose, depuis sa première toile en 1984 jusqu’à ses œuvres les plus récentes.
Avec la série de portraits « The Map Man » de 2010, à nouveau le motif textile sert de métaphore, les vêtements développant leur propre langage comme en Afrique de l’Ouest où l’apparat se joue de l’apparence avec les figures du « Striker »(le gréviste) celui qui endosse les risques pour ses compagnons de lutte ou « The Map Man » dans la tradition de l’écrivain public, celui qui prédit l’avenir à partir de la situation présente.
Nous passons à une critique plus acerbe avec la relecture du Guardian que Lubaina collecte pendant 10 ans pour mieux en discerner la conspiration envers la figure africaine systématiquement accolée à un message textuel négatif (épisodes de drames, crises, désespoir..). Elle repeint alors certaines parties de la page pour mieux faire ressortir le manque d’objectivité de l’éditeur.
L’extrême cohérence qui se dégage de ces différents corpus couvrant plus de trente années de pratique, ne passe volontairement pas par le filtre chronologique mais plutôt par un jeu d’associations sonores et visuelles qui plonge le spectateur dans des sentiments contraires entre l’effroi et l’empathie. Au delà de l’aspect politique, il est question d’espoir et de rédemption, pour reprendre les mots de l’artiste. Chacun selon elle a le pouvoir de changer les choses dans l’espace de l’exposition et au delà. Un cadeau dont il s’agit de saisir toute la portée.
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Par Marie de la Fresnaye
Infos :
Lubaina Himid, Gifts to Kings
Musée Régional d’art contemporain Occitanie/Pyrénées-Méditerranée
146 avenue de la Plage, Sérignan (34)
jusqu’au 16 septembre 2018