Livia Melzi - Au-delà des images

 

Née en 1985 à Sao Paulo, Livia Melzi est diplômée dun Master de photographie et dart contemporain à lUniversité Paris 8, suite à une première formation docéanographe au Brésil. Passionnée par la photographie dès son plus jeune âge, elle répond à un appel à candidature pour participer à une résidence à lÉcole nationale supérieure de photographie dArles en 2014 et  sinstalle en France depuis lors.

Intéressée par les questions d’archive et de transmission du savoir, elle commence des recherches autour du peintre naturaliste et scientifique français Hercule Florence (1806-1879) parti au Brésil en 1824 et connu comme un pionnier de la photographie. L’artiste plonge dans son univers pour nourrir un travail qu’elle présente lors de la Biennale de Mulhouse en 2016 sous la forme d’une constellation d’images. C’est à ce moment qu’elle met en place une méthodologie précise afin de regrouper tous les documents récoltés dans un carnet de voyage pendant son expédition sur les traces de cet explorateur.

Au Salon de Montrouge an 2021, Livia Melzi nous convoque à un étrange festin, qui lui vaut le Grand Prix du Salon,sous le titre Quil était bon mon petit français, inspiré du film du réalisateur brésilien  Nelson Pereira dos Santos en 1971, film censuré sous la dictature militaire. Pour ce premier chapitre d’une recherche menée depuis 4 ans et intitulée Étude pour un monument Tupinambá, l’installation met en scène différentes pièces relatant les rituels anthropophagiques dans la tribu des Tupinambá sur la côte atlantique du Brésil.

Ces cérémonies sont décrites dans les récits de Jean de Léry (1536-1613) et illustrées par les gravures de Théodore de Bry (1528-1598). En effet, à la suite des expéditions au XVIe siècle, les nombreux textes des explorateurs suscitent la curiosité et l’intérêt des européens pour ces contrées lointaines. A leur retour, les bateaux sont chargés d’objets, de plantes, d’animaux comme une forme « d’inventaire du Nouveau Monde ». Les manteaux Tupinambá, confectionnés à partir de plumes aux couleurs flamboyantes et portés lors des rituels, sont alors envoyés en Europe et disparaissent peu à peu de leur pays d’origine. Les onze derniers exemplaires sont conservés dans des musées occidentaux. Livia Melzi entreprend alors un nouveau périple à la recherche de ces manteaux, et rassemble images, archives, textes et conversations dans un carnet. Un travail qui interroge le sens des archives photographiques,  la mémoire collective et la construction identitaire. Il s’agit d’une réflexion sur les mécanismes de domination dans la production, la conservation et la circulation des images.

La tribu Tupinambá a été exterminée rapidement et les rares descendants dispersés ont perdu la trace de ces objets. L’artiste construit une nouvelle archive en exhumant l’histoire d’une des communautés originelles, démarche importante en une période où le gouvernement actuel ne reconnaît pas l’identité plurielle du pays. Malgré la distance, elle tisse le lien entre un objet conservé dans nos musées et le peuple qui en a été dépossédé au Brésil, et ce au travers du geste photographique puisque c’est également toute l’histoire de la photographie qui accompagne cette documentation. Développant une pratique participative, Livia a rencontré l’artiste Gliceria, descendante Tupiet militante pour la lutte des droits des communautés autochtones au Brésil, à laquelle elle a transmis ses documents collectés afin de pouvoir reconstituer un manteau sacré et retrouver un savoir-faire perdu, dans une inversion de la perspective anthropologique.

Pour la vente de multiples organisée par Artaïs en soutien aux artistes, Livia propose le diptyque Déguisement, réalisé à partir de la reproduction de deux tableaux du XVIIe siècle – Portrait de Sofia de Palatinat, par Louise Hollandine de Palatinat en 1644, conservé au musée du Château de Wasserburg

Anholt à Isselburg en Allemagne et Portrait de Mary Stuart par Adriaen Hanneman en 1664, appartenant au Mauritshuis de La Haye aux Pays-Bas. Ces deux tableaux sont les seuls documents visuels montrant les manteaux Tupinambá portés comme un déguisement par l’aristocratie dans l’Europe du XVIIe siècle. À partir d’une intervention sur l’image, l’artiste procède à l’effacement des personnages mettant en exergue l’artefact sacré, son esthétique de représentation et sa décontextualisation.

De nouveaux chapitres de cette étude seront présentés prochainement. Au printemps, lors du Festival Circulation(s), elle effectue un parallèle entre la figure de Marie Stuart, parée du manteau sacré, et celle de Gliceria arborant ce vêtement nouvellement tissé. A l’automne, plusieurs propositions seront  à découvrir au Palais de Tokyo sous le titre de Tupi or not Tupi, après une résidence en Amazonie.

Avec ses différentes recherches, Livia Melzi aborde, par le moyen de la photographie et sans porter aucun jugement, les questions d’identité, d’appropriation d’objets du patrimoine culturel conservés dans les musées occidentaux et de leur restitution, tout en nous transportant dans des odyssées historiques, géographiques, ethnographiques entre réel et imaginaire.

Quel est le rôle et le pouvoir des images ? A partir d’une analyse archéologique, à laquelle s’apparente cette étude avec la constitution d’un corpus de photographies et de textes d’archives de sources et d’époques variées, comment se fabrique notre imaginaire ? Comment reconstruire l’histoire d’un peuple, à partir de ce manteau symbole d’une culture disparue ?

Et comme l’indique l’artiste Paulo Nazareth, dont elle apprécie la démarche, « il faut tenter de ramener les récits oubliés aux réalités contemporaines ».


Infos pratiques :

 

Festival Circulation(s)

Du 2 avril au 29 mai

CENTQUATRE-Paris

5 rue Curial, Paris 19e

 

Tupi or not Tupi

Du 20 octobre au 20 novembre

Palais de Tokyo