L’inventaire existentiel d’Ariane Loze

L’artiste Ariane Loze, l’une des lauréates du salon de Montrouge 2018, a étudié la mise en scène et les arts dramatiques à l’institut bruxellois du RICTS. Une phrase d’un professeur reste en sa mémoire : « jouer, c’est être entier et sans aucune honte ». Et c’est exactement ce qu’elle fait depuis 2008, en développant un travail de vidéo-performance où elle analyse l’humain, confrontant le matériau filmique à une démarche anthropologique sociale. Elle exprime son rapport au monde, en transposant les codes du théâtre, unité de lieu de temps et d’intrigue, dans un cinéma qui n’est pas sans évoquer celui de Rohmer. Nourrie du patrimoine cinématographique, l’artiste caméléon fait référence aux différents genres du cinéma de façon verbale ou visuelle.

Ariane Loze se sert de sa propre personne comme modèle et support de ses performances enregistrées, en incarnant tous les personnages qu’elle invente, joue et filme avec  une économie de moyen récurrente. Dans des saynètes atemporelles aux décors épurés, conversent  des individus filmés souvent de manière frontale en champ-contrechamp à l’aide d’une simple caméra montée sur trépied.  Le lieu souvent presque vide, degré zéro du cinéma, est l’élément déclencheur de la performance imaginée par l’artiste qui met son corps et sa voix au service d’une analyse scrupuleuse de notre société, en multipliant les focales. « Je commence par une première scène, puis je me laisse guider. Pour moi, la multiplicité des regards est primordiale » annonce-t-elle.  A partir d’expériences traversées, digérées et mémorisées dans son  « musée intérieur », elle improvise donc sans scénario écrit, et entre dans la peau de chaque personnage entièrement et le plus naturellement possible.

Tendre vers une certaine forme d’abstraction afin que le spectateur  imagine son propre décor et puisse s’y projeter. Le regardeur devient alors le monteur et  le créateur de la fiction, car ses yeux font office de caméra, lui permettant d’enregistrer et  d’assembler les images. Parfois la performance peut être donnée à voir, et le processus de tournage dévoilé, obligeant Ariane Loze à tourner les séquences dans l’ordre du montage final.

Cette artiste engagée n’hésite pas à porter un regard critique sur les hégémonies économiques, sociétales ou culturelles. Elle cherche à se saisir de nos interrogations et de l’esprit du temps,  passant d’une identité propre à une identité multiple, en soulignant les contradictions dans la sphère privée comme publique.  La vidéo « Impotence » traduit le sentiment d’impuissance des individus face à une société en conflit. « Profitability » est une critique du monde entrepreneurial. « Chez nous »permet de dénoncer les conventions établies au sein de la famille, dévoilées lors d’un soir de réveillon. « Art Therapy » s’amuse de phrases échangées entre protagonistes du monde de l’art, où les mots peuvent être décalés voire inappropriés au contexte.

Pour l’exposition « Nous ne sommes pas, nous devenons », prévue au CACC à Clamart, l’artiste imagine de nouveaux dialogues mis en scène dans le cadre d’un banquet autour du questionnement très actuel : « être heureux rend-il plus productif » ? Comme souvent, le tournage est effectué quelques jours avant le début de l’exposition, sur le lieu même de la monstration, et le décor donné à voir au visiteur. 

Une comédie humaine du XXIème siècle sous la forme d’une fugue à plusieurs voix, où l’humour est distillé subtilement.

Sylvie Fontaine


Infos Pratiques

« Nous ne sommes pas, nous devenons »
Centre d’Art Contemporain Chanot (CACC)
33 rue Brissard, Clamart
du 26 janvier au 31 mars
performance le 17 février à 16h