LIGNES DE VIES
Depuis son ouverture en 2005, le MAC VAL a fait de la question de l’identité un de ses thèmes de prédilection, avec, entre autres, l’exposition collective, Emporte-moi/Sweep me off my feet, en 2009, qui analysait la place de l’économie ou de l’émotion dans nos existences ; avec, en 2015, Chercher le garçon, qui interrogeait les codes de la masculinité et du genre ; ou, en 2017, avec Tous, des sang-mêlés, qui remontait à la source de nos racines culturelles et originelles.
Lignes de vies – une exposition de légendes, qui s’est ouverte récemment, réunit des artistes qui ont fait de l’autobiographie et de la biographie un socle pour la construction de leur œuvre. Il ne s‘agit pas d’un geste narcissique, comme les simples additions de selfies que l’on voit si souvent aujourd’hui, mais bien d’une identité construite et choisie, délibérément mise en scène. « Considérant que l’identité est une fiction qui se performe, un récit multiple et fragmenté, se raconter, faire de sa biographie – de sa geste – une matière première est donc un acte de déconstruction, d’affirmation, « d’empuissancement » », écrit Frank Lamy, son commissaire. « Quelle place laisser à la famille, à l’Histoire, à la transmission, à l’héritage ? Au nom propre ? Aux relations avec le vivant, avec le cosmos ? », se demande-t-il.
Les quelque 80 artistes réunis pour l’occasion sont de générations et de nationalités différentes, tout autant que leurs pratiques, qui recouvrent un large champ : de la peinture à la sculpture, en passant par la photo, la vidéo, la performance ou même l’écriture.
En matière de construction de l’identité, certaines figures historiques s’imposent, comme celles d’ORLAN, de Michel Journiac, de Jacques Monory ou d’Annette Messager. Mais plus que sur ces artistes, désormais bien connus, c’est sur de plus jeunes ou sur ceux qui occupent une place importante dans l’exposition, que nous voudrions nous arrêter. Sur Edi Dubien, par exemple, qui occupe tout un mur et qui associe des sculptures à des peintures et des dessins. On a découvert récemment le travail de cet artiste qui évoque les questions de genre et d’identité sexuelle et, les douloureux souvenirs d’enfance qui y sont associés. Une toile résume bien son propos, mais aussi celle de l’exposition toute entière : on y voit le haut d’une tête, la chevelure et les oreilles, soutenu par des branches d’arbres, le reste du visage n’étant pas présent, comme s’il était encore en construction, comme si la nature ne l’avait pas totalement achevé.
Sur le plan de l’identité sexuelle – et là très précisément de l’homosexualité -, une autre pratique retient l’attention, qui associe photos et sculptures, et qui occupe aussi tout un mur : celle de Damien Rouxel, un fils d’agriculteur qui témoigne de la difficulté de vivre à visage découvert dans un milieu social comme le sien, et qui n’hésite pas à faire intervenir les membres de sa famille dans les photos qu’il met en scène. Mais d’autres participent de cette mise en avant de l’intime : David Brognon & Stéphanie Rollin, par exemple, qui montrent, reproduites en néons surplombant les murs de la salle, des lignes de la main censées évoquer des situations émotionnelles particulières ; Abraham Poincheval, qui vit des expériences limites en s’enfermant pendant des jours dans le corps d’animaux taxidermisés (ici un ours) ; Karina Bisch qui déjoue non sans humour les empreintes que Klein laissait sur les murs à l’aide de femmes nues recouvertes de peinture (les Anthropométries, geste machiste par excellence). Quant à Elina Brotherus, elle confronte des photos réalisées à Chalon-sur-Saône, à son arrivée en France, à d’autres faites douze ans plus tard au même endroit, et elle pousse l’incertitude à son comble : même lieu, même environnement, même silhouette, seule la couleur de cheveux change. Alors qui est qui et où ? C’est tout l’enjeu de cette troublante exposition.
Par Patrick Scemama
Infos :
MAC VAL
Musée d’art contemporain du Val-de-Marne
Carrefour de la Libération, Vitry
jusqu’au 25 août