L'esprit d'un instant
Arthur Hoffner vient de remporter la nouvelle édition du Prix MAIF pour la sculpture. Ce prix attribué par un jury indépendant, composé de professionnels de l’art et d’experts de l’innovation, invite les artistes à recourir aux technologies innovantes dans leur pratique artistique. C’est à cette occasion qu’Arthur Hoffner présente une œuvre intitulée Fragilités, conçue dans le droit fil d’une tradition de la machine inutile qu’on retrouve chez des artistes comme Jean Tinguely ou Wim Delvoye, en passant par Bruno Munari. Son propos mobilise diverses interrogations, que ce soit sur l’utile et l’inutile, l’instant et l’éternité, le vivant et l’inerte ou encore le naturel et l’artefact.
« Il s’agit à la fois de questionner le rôle de la sculpture dont l’absence de fonction pratique est une des définitions même, tout en interrogeant le statut de la machine et sa place dans notre monde assujetti à la rentabilité et à la productivité. Je cherche en quelque sorte à humaniser la machine en lui accordant la possibilité de se mettre au service d’un récit poétique, très décalé de son rôle traditionnel. »
Il est vrai que nous concevons au quotidien la technologie comme une réalité allant de soi. Pourtant, comme nous le rappelle Arthur Hoffner, « Les objets qui nous entourent sont d’une complexité peu compréhensible pour la plupart d’entre nous. Et nous acceptons pourtant sans y prêter attention ce dépassement par la technique. ». D’où la tendance à développer un rapport à une technologie quasi magique. « La techno-magie est quant à elle déjà omniprésente sans être conscientisée : peu importe notre degré de rationalité et de cartésianisme… Dans mon projet, je me joue de ce rapport avec l’objet technique, en essayant cette fois d’en assumer le mystère poétique qui s’y trame, en cherchant à plonger le public dans la contemplation d’une élucubration de la machine. »
De fait, l’artiste entretient une fascination pour les objets animés qui recèlent des trésors d’ingéniosité ainsi que des mécanismes complexes d’une très grande sophistication. Ils nous interrogent sur les liens invisibles qui se nouent entre le vivant et l’inerte, entre les éléments naturels et les artefacts, mais renvoient également au monde poétique de l’enfance. Et c’est bien à un petit spectacle que nous convie l’œuvre Fragilités, comme un hommage à la fascination enfantine pour les objets articulés. Mais c’est également à une interrogation sur notre rapport à l’instant présent, ce moment privilégié qui reste propice à la contemplation. En effet, Arthur Hoffner veut nous proposer une alternative sous forme d’échappatoire, un moment de répit dans un monde qu’il voudrait déconstruire et remodeler, avec comme idée principale de laisser la pensée divaguer, de laisser le spectacle du mouvement nous happer, dans une mise en scène contemplative. Mais ce n’est pas sans compter sur toute l’ambivalence de la bulle de savon qui, comme il le souligne est « miraculeuse quoique condamnée, dérisoire bien qu’infiniment complexe, avec son insoutenable légèreté qui combine mystères mathématiques et fascinations esthétiques ».
Il apparaît effectivement, en regardant l’œuvre Fragilités, que nous participions, le temps d’un regard, à un moment d’éternité, car l’instant est ce moment où le temps et l’éternité se touchent. Les bulles qui viennent occuper l’espace, aussitôt assujetties à la loi de la gravité, vont s’anéantir dans un nuage de brume. Elles peuvent se comprendre, selon l’artiste, comme « une métaphore du passager et du fugace, une allégorie du périssable, ou encore comme « une prolongation contemporaine des peintures de vanités du XVIIème». Ainsi, les apparitions de bulles savonneuses et leur disparition dans la vapeur plongent le regardeur dans la contemplation d’un instant avec toute sa fragilité et toute sa puissance d’être, sans cesse renouvelée dans un va-et-vient entre paraître et disparaître. On peut le voir aussi comme un hommage poétique à la vigueur de la vie sans cesse en mouvement, désintéressée et conquérante.
Prix MAIF pour la sculpture 2023