L’espace où j’ai recommencé à faire de l’art

 

En mars 2020, à l’annonce du premier confinement, l’artiste Paul Maheke publiait sur le site documentations.art une lettre ouverte intitulée L’année où j’ai arrêté de faire de l’art. Pourquoi le monde de l’art doit soutenir les artistes : envisager la solidarité au-delà des enjeux de la représentation. Avec ce texte, un appel était lancé aux structures d’un milieu déjà précaire et fragile, mis à mal par le gel imposé de ses mécaniques fatiguées. Quand la culture est à l’arrêt, comment, où et avec qui s’organiser pour permettre à la création contemporaine de continuer d’exister ?

 

En octobre 2020, à l’annonce d’un deuxième confinement et forcé de constater les profondes lacunes des mesures de soutien mises en place, un autre artiste, Melchior de Tinguy, entend la détresse de tout un milieu. Autorisé à investir un vieil appartement au 23 rue de Lille, dont les travaux sont suspendus et qu’une heureuse ironie du sort veuille qu’il ait été l’un des lieux de résidence de Karl Marx, il distribue quatorze cartes blanches aux artistes et commissaires qui forment son réseau. Avec son architecture marquée et sa discrétion intimiste de fond de cour, le Karl Marx Studio Space est investi successivement par des expositions toutes radicalement différentes mais unies par un même esprit de liberté, de plaisir et de qualité.

La première carte blanche donne le ton. Sur une proposition de l’artiste Édouard NG, 4ème période intermédiaire déploie dans les 25m² du studio des objets à la fois autonomes et en conversation fructueuse, réussissant le pari de l’exposition de groupe dans un espace pourtant difficile à appréhender. Celles qui lui succèdent maintiennent le niveau.

Avec Choc Psycho, Mario Picardo, d’abord invité comme artiste, s’essaye au commissariat et offre un shot de dopamine coloré aux plus curieux, qui par le bouche-à-oreille sont de plus en plus nombreux à découvrir l’espace. Charles Hascoet propose, lui, une joyeuse exploration des sensibilités picturales de chacun des dix artistes qu’il invite autour de ”l’exercice canin”, sous l’œil rond, autoritaire mais bienveillant de la Tête de bouledogue de Théodore Géricault prêtée pour l’occasion.

L’intelligence de la carte blanche, c’est aussi la possibilité pour les artistes d’expérimenter l’exposition individuelle en totale liberté. On aura ainsi pu voir les travaux poétiques de Louis Verret autour du livre comme objet mémoriel, les peintures sphériques issues des expérimentations de Jean-Baptiste Bernardet ou les impressionnantes sculptures lumineuses de Paul Créange dialoguer avec l’espace pour mieux se révéler.

Politique malgré lui, l’artist-run space propose ainsi une persistance spontanée sachant s’adapter à la météo sanitaire et insuffle l’espoir d’une alternative aux modes traditionnels de monstration des œuvres. La communauté enthousiaste qu’il a su créer devrait persister jusqu’à l’accrochage sauvage d’une soixantaine d’artistes ayant participé à cette aventure et qui en marquera la fin avant de s’immortaliser dans une édition.


INFOS

Karl Marx Studio Space

23 rue de Lille, 75007, Paris

Réservations : @karlmarxstudiospace