Les  scènes actuelles sud africaines et zimbabwéennes

La scène du Cap à l’occasion de la Foire du Cap.

Bien sûr quand on observe la scène africaine, notre regard se focalise inévitablement vers l’Afrique australe tant elle concentre les grandes figures contemporaines que sont William Kentridge, Marlene Dumas, Kendell Geers, Pieter Hugo, David Goldblatt… L’intérêt d’une foire comme celle d’Investcom Cape Town qui a eu lieu en février dernier est de relativiser cette appréciation en l’actualisant pour se rendre compte que toutes ces figures historiques ont irrigué non seulement les terres fertiles de la création locale, mais celles également des pays limitrophes comme le Zimbabwe, et par extension de l’AfrIque entière, hormis peut être le Maghreb et l’Egypte.

Il faut dire qu’au Cap, mais également à Johannesburg, la communauté bien établie des galeries contemporaines et des institutions artistiques favorisent cette effervescence.

Ainsi pouvait-on voir au tout nouveau Zeitz Mocaa, magnifique réhabilitation en musée d’art contemporain d’un ancien silo à céréales, parée en son hall d’accueil d’un fabuleux El Anatsui, une exposition sur la scène artistique du Zimbabwe, curatée par le directeur de la Galerie Nationale de Harare, Raphael Chikukwa et intitulée “ Five Bhobh : Painting at the end of the era”. Parmi les artistes, se distinguaient plus particulièrement le peintre orinique Cosmos Shiridzinimwa, représenté par la galerie historique Delta de Harare, le peintre abstrait déconstructiviste Willie Ducan, que l’on a connu sur la place parisienne, mais qui travaille aujourd’hui à Londres, et le jeune sculpteur Troy Makaza dont la pratique du silicone coloré texturé lui confère une originalité appréciée. Il est représenté par  First Floor, Harare. Un très beau catalogue largement documenté, est issu de cette exposition qui a fortement bénéficié du mécénat du collectionneur français Matthias Leridon.

La foire Investec rassemblait une soixantaine de galeries dont 5 françaises et non des moindres comme Perrotin, Templon, Continua, de nombreuses galeries italiennes, comme Massimo Minini de Brescia, mais bien évidemment concentrait en son coeur les grands marchands de la place du Cap et de Joburg, d’ailleurs la plupart d’entre eux capitalisant sur la double implantation, ainsi Goodman, Stevenson, Smac, Blank Project, WhatIftheworld, Momo, etc.

Les stars du moment s’exposaient en sold-out, comme la peinture brute de Georgina Gratrix chez Smac, les sculptures de Julio Rizhi chez First Floor, qui ont été acquises dès les premières minutes par un collectionneur romain, ou bien les peintures de Omar Ba de chez Templon.

Le programme Vip de la foire a donné la part belle aux visites des collections privées du Cap comme celle de Véronique Susman Savigne, ou de Frank Kilbourn à Tamboerkoof, président de la maison de vente qui organise des enchères de la maison Strauss&Co. Bon nombre des grandes figures de la place figuraient au catalogue de la vente du 16 février. Celle-ci  devait confirmer les cotes. L’agenda incluait également des visites d’ateliers, comme ceux d’Atlantic où réside une pépinière de jeunes talents tels Igshaan Adams (installations textiles), Jared Ginzburg (bricolage conceptuel), Kyle Morland (sculpture en acier).

Ce parcours de découverte nous a également assurés de l’envergure des grandes galeries locales concentrées dans le quartier de Woodstock, avec des shows d’étonnantes sculptures sonores de Browing Katz chez Blank ayant récemment fait un tour au Palais de Tokyo, de la jeune star hollywoodienne de 23 ans Simphive Ndzube chez Stevenson et de Nolan Oswald Dennis, jeune prodige conceptuel chez Goodman.

Terminons ce panorama avec les deux lauréats que nous suggérons de suivre : Monge Zincaphayi  et Troy Makaza du Africa Art Prize of Investec.

 

 

La jeune scène du Zimbabwe

La scène du Zimbabwe que nous avons visitée est plus restreinte, nous n’avons apprécié que celle de Harare, mais elle reste néanmoins intéressante, en ce sens qu’elle est historique, fortement appuyée sur le socle de Galerie Nationale, magnifique musée corbuséen datant de l’époque de l’ancienne Rhodésie, sorte de Palais de Tokyo pour le pays, et qu’elle irradie celle d’Afrique du Sud où convergent finalement nombre de ses talents dès qu’ils ont besoin d’une reconnaissance plus large.

La galerie Delta dirigée par Derek Huggungs et Hélène Lieros a longtemps été le poumon artistique de la capitale, rassemblant, représentant et exposant tous les talents émergents depuis 50 ans. La galerie First Floor, dirigée par Valérie Kabov et Marcus Gora, s’engage maintenant à prendre le relais  avec une intense activité de représentation internationale à Paris, Londres, Tel-Aviv et New-York, Los Angeles.

Son portfolio compte à son actif plusieurs artistes dont la réputation passe les frontières. A Troy  Makaza, et Julio Rizhi déjà cités plus haut, ajoutons Takunda Regis Billiat et les peintres Wycliffe Mundopa et Gresham Tapiwa Nyaude ; ce dernier très remarqué lors de la triennale 2018 du New Museum de New-York. Nous sentons là un vivier d’artistes qui ne tardera pas à vouloir imposer ses prétentions au niveau mondial. Contrairement aux idées préconçues, le Zimbabwe reste une terre vierge favorable à l’éclosion d’un art africain original, intelligent, susceptible d’une reconnaissance internationale rapide.

 

Johannesburg, une effervescence quasi new-yorkaise.

S’il est difficile d’y marcher dans les rues en sifflotant, il est par contre relativement aisé de s’y déplacer en Uber, c’est un outil providentiel sûr, économique et efficace qui tombe à point nommé. Il suffit de rester vigilant sur le code imposé de bonne conduite et la ville s’offre à vous, avec son surcroît d’effervescence artistique.

Très sympathique de commencer le périple par un lunch au Salvation café de Melville, avant d’entamer à Braamfontein la visite des galeries runspaces et design shops (comme par exemple Dokter and Misses, excellente fabrique locale de mobilier design, présente à Miami Design, proche du modèle français de Carpenter Workshop).

Mais il est  recommandé de rester sur ses gardes, même pour 300 m, on prend un Uber. C’est là où nous avons rencontré, à 2 pas de la galerie Stevenson, l’atelier run space non profit de Banele Khoza, jeune peintre à succès de 25 ans. Il y offre, à côté de son vaste atelier personnel, un espace d’exposition d’une centaine de mètres carrés dédié aux artistes sans galerie. Grande générosité et belle entraide que nous avons également revue le lendemain chez un autre jeune artiste trentenaire, cette fois d’origine ougandaise, Benon Lutaaya qui lie son art à un esprit d’entreprise bien trempé pour héberger les artistes femmes. Ainsi a-t-il fait la couverture du New York Times : Two Projects Helping Female Artists in Africa Find Their Voices – Todd Pitock, The New York Times, 2019. Parallèlement à son activité artistique, jouissant d’une forte reconnaissance locale, il lance une start-up de franchise de coiffure promise à un rapide succès, à en croire le bel espace de la Bagagerie dont il profite au sein de la friche fraîchement réhabilitée The project Space à Victoria Yards.

Notre pilote du jour, Pierre Lombard, collectionneur et artlover implanté à Joburg depuis 30 ans, le conseille dans son développement et l’accueillera même en résidence à Saint-Emilion cet été.

Pierre nous avait entraînés le matin même à August House, une manufacture transformée en studios d’artistes, située dans l’ancien centre ville en cours de paupérisation accélérée, avec ses allures du Soho de New York des années 60. Une vingtaine d’artistes y travaillent, voire y logent, tels  Andrew Kayser, Toni-Ann Ballenden, et Fatima Tayob Moosa, tous témoins de cette vitalité créatrice omniprésente à Joburg.

Nous ne sommes pas allés à la Cité de Maboneng, où William Kentridge a son studio et y génère une belle énergie, ni revisité la totalité des galeries, comme à Cape Town. L’ensemble des contacts que nous avons pu avoir avec les directeurs de galeries ou de centres d’art tels Emilie Demon et Henri Vergon d’Afronona, ou bien Maria Fidel Regueros de Room Project, ont pu attester de nombreux projets en cours comme autant de témoignages du développement artistique dans cette grande cité aux facettes multiples.

 

par Pierre-Antoine Baubion


Infos :

CapTown, Harare, Johannesburg  février mars 2019