LÉA DUMAYET - A la recherche de l’équilibre

 

La pratique de Léa Dumayet est essentiellement sculpturale : elle se décline en de nombreuses sculptures-installations, avec des matériaux industriels et naturels qui semblent léviter, se soustraire aux forces de la gravité. Qu’il s’agisse de ses installations arc-boutées au sol ou grimpant sur les murs, de ses mobiles flottant dans l’espace, ses œuvres relèvent de l’équilibrisme.

 

En ployant des matériaux planes, souvent industriels, parfois lourds, comme des plaques d’acier, de cuivre, de laiton, d’aluminium, parfois légers, comme des plaques de plexiglass, des laies de mirolège ou de nylon, l’artiste crée des assemblages comportant une verticalité affirmée mais toujours risquée. Car ils frôlent la rupture d’équilibre et l’affaissement, à cause de la fragilité de leurs fixations, réduites au minimum congru, jamais fortement consolidées.

Cet art osé, de la fixation minimale d’élégantes formes déployées dans l’espace, s’accompagne d’une volonté de réduire la représentation des matériaux utilisés à leur matérialité de base, physique, abstraite de toute référence à leur origine. Qu’ils proviennent du règne minéral (pierres de toute sorte), végétal (rameaux ou branchages divers), animal (capsules de raie manta, os de seiche, couteaux de mer) ou humain (artefacts industriels), ils semblent se fondre tous dans l’univers inclusif de la physique, où tout corps ne représente qu’un simple conducteur d’énergie : un point de passage sur le trajet des lignes de force qui plient l’espace jusqu’aux confins du cosmos.

En dépassant de la sorte les oppositions entre les divers règnes de la réalité, Léa Dumayet concilie le naturel et l’artificiel sur les ailes d’un art qui vole au-dessus des apparences concrètes pour flirter avec l’abstraction. Puis cette réduction de la représentation des matériaux à leur expression la plus épurée, amincis jusqu’à leur physicalité structurelle, relève du minimalisme, d’un art que nous pourrions qualifier d’ « ultramince » (terme qui nous est suggéré par Marcel Duchamp, mais qui ne doit naturellement pas être confondu avec ce qu’il nomme l’« inframince »). Une infime minceur qui se perçoit aussi dans l’extrême ténuité de ses formes, continuellement menacées de disparition par les puissantes tensions qui les habitent.

En limitant ainsi au strict minimum ses interventions physiques et ses insinuations visuelles, Léa renforce paradoxalement l’effet esthétique de ces pièces. Car, en même temps qu’elle nous donne moins à voir, elle laisse, au sein de notre regard, une plus large place aux jeux de la fantaisie, créateurs de cette impression de quasi-réalité qui fait la valeur esthétique : « less is more ». En effet, elle sait si parcimonieusement contrarier la résistance des matériaux auxquels elle est confrontée dans la pratique de son art ascensionnel qu’elle met notre imagination au galop. Aussi voyons-nous plus minces qu’ils ne le sont en réalité les tendeurs, poids et cales qui soutiennent ses installations et croyons inévitables leurs collapses. Parfois l’imagination nous pousse encore plus loin : à nous persuader que ces fragiles installations ne tiennent debout que par la « bonne volonté » de leurs matériaux, telles des cavaliers, dont nous savons qu’ils ne sont portés que par la bienveillance de leurs montures.

Si nous n’étions pas convaincus que l’art n’est rien de plus qu’une production d’illusions savantes, nous serions presque enclins à créditer d’un élan propre les matériaux utilisés par Léa. De cet « élan vital » créateur qu’Henri Bergson croit déceler dans chaque parcelle de l’univers et qui lui communiquerait, selon lui, une légère tendance déviante à l’improvisation innovante, en la soustrayant ainsi par instants aux lois de la mécanique, garantes de la répétition globale des phénomènes (Bergson, L’Évolution créatrice).

A la réflexion, l’art de Léa Dumayet plonge ses racines inspiratrices dans l’artisanat. Martin Heidegger montrait qu’à l’inverse des ouvriers travaillant aujourd’hui dans les moulins industriels, lesquels produisent de la farine par tout temps, l’artisan meunier traditionnel expose au souffle hasardeux des vents les ailes de son moulin et, avec elles, sa production de farine tout entière (Heidegger, La Question de la technique). Car le véritable artisan ne souhaite guère s’affranchir de la nature, estimant en faire partie. Il prête au monde environnant une spontanéité, un mouvement de plein gré, qu’il tente de gagner à sa cause en l’invitant, par de subtils conciliabules, à participer à la réalisation de ses ouvrages. Tout comme lui, notre artiste invoque par ses installations, la participation des énergies naturelles qui sont à l’œuvre dans ses matériaux et négocie avec elles, à coups d’expérimentations instinctives, répétées et affinées, les protocoles de construction de ses pièces.

 


INFOS

 Snap time is over, Galerie Valentin, curatrice Marianne Dollo

Du 15 mai au 12 juin

  • Intim-us, Galleria Jardino, curatrice Julia Rajacic

Du 15 mai au 5 juin

  • Format cabine, Centre Tignous d’art contemporain, curatrice Marion Zilio

Du 19 novembre au 18 décembre