Le monde sensible d’Emma Bourgin

Cette jeune artiste, diplômée de l’Ecole des Beaux-arts de Caen, a très vite développé dans l’atelier de Gyan Panchal, un intérêt marqué pour les matériaux – pigments et couleurs d’abord puis poussière de pierre et enfin cire d’abeille. Elle cherche à se réapproprier le monde sensible. Consciente de la perte de contact lorsque le virtuel devient de plus en plus présent, il devient alors important de mobiliser nos sens. Le geste est au cœur de sa pratique. Dans une totale empathie avec la nature, elle « rencontre » les matériaux végétaux ou minéraux – se les approprie, les découpe ou les ponce, les recouvre de cire, les plie, les trempe – afin de révéler un effet de surface, une forme ou une empreinte. Les objets trouvés sont parfois les témoins d’une activité passée et restent le trait d’union entre l’homme et la nature. Comme pour Yves Klein, qu’elle cite volontiers, « l’art devient prétexte à une communion avec la nature ».

La cire d’abeille, matériau malléable et fragile à l’image de l’homme, renvoie à une dimension sacrée. « Vitrail », une des pièces emblématiques de son travail, réalisée en 2013, est un voile transparent constitué de 48 papiers de soie trempés dans une cire à la couleur magique et où chacun porte la mémoire du geste. Suspendu entre deux piliers de la salle de l’Abbaye-aux-Dames en Basse-Normandie, il joue avec la lumière du jour. En 2017 pour la galerie du Crous, elle réalise un nouveau panneau constitué cette fois des feuilles d’un vieux dictionnaire, enduites de cire, où l’on peut déceler en filigrane les fragments du discours amoureux.

Lors de ses résidences, l’artiste s’empare de l’histoire des lieux comme à Valenciennes où elle collecte les gravats dans les bâtiments abandonnés et façonne « les mues oubliées du Haynaut », petites pièces délicates en cire. La série des « Cœurs de pierre » résulte des moulages en cire de pierres de Caen poncées et évidées dans un rapport à la matière et au temps. Les titres d’une grande poésie, font souvent référence au lieu de collecte ou aux matériaux comme avec la « Plinthe de chaleur compressée par une toile à beurre » où la cire s’écoule lentement à travers la toile déposée sur des canalisations en cuivre et forme ainsi un archipel de concrétions sur le sol.

Pour la série des « Portes », Emma Bourgin a patiemment poncé les murs dans différents lieux afin d’en récupérer les poudres, qui mélangées à du lait de chaux, seront enserrées entre des plaques de bois avant d’être transférées sur papier, établissant ainsi une cartographie de ses déambulations.

La question de l’épiderme, métaphore de la « peau du monde », est récurrente dans ses œuvres comme avec « L’outremer sous ta peau est la lumière », où un rouleau de cire résulte de l’empreinte d’une planche sur laquelle ont été superposés différents pigments aux noms de villes ou pays mythiques. La peau reste l’interface sensorielle, l’interface de communication et l’artiste provoque le contact avec les matériaux, le contact de l’homme avec le monde qui l’entoure en mobilisant ses sens.

 

Par Sylvie Fontaine


Infos :

Galerie du CROUS

11 Rue des Beaux-Arts, Paris 6e

du 13 au 25 février 2017