Le Juste Prix

 

Pour l’ouverture de son nouvel espace situé près de la Gare Saint-Lazare, la Fondation Pernod Ricard invite l’artiste Bertrand Dezoteux à concevoir une exposition collective inaugurale intitulée Le Juste Prix. Pied de nez au système compétitif de l’art contemporain auquel l’institution, qui ne manque pas d’autodérision, contribue annuellement depuis 1999, l’exposition confirme sa position engagée auprès des artistes. Entre les mains expertes du roi du bricolage numérique, des rapiéçages baroques rencontrent le « smart cube » high tech pour une compétition qui n’en a que le nom.

 

Le travail de Bertrand Dezoteux est à l’image de son commissariat. Polyphonie linguistique et visuelle, il propose un voyage dans un univers étonnant où se combinent les discours de plusieurs générations et différents registres d’images allant de la vidéo à la modélisation 3D à l’instar de sa vidéo Endymion (2021) qu’il présente en regard des quais de la gare. Tous trois en voyage à travers le cosmos dans une DS volante, il y réunit les voix de sa grand-mère modélisée, celle de son père sous les traits de Salvadam Dalire (fusion cocasse de Salvador Dali et d’Amanda Lear), et la sienne sous ceux d’un cochon, desquelles seule la magie du montage et son talent pour l’image animée parviennent à esquisser le sens. Poésie du laisser-faire ou du faire avec, c’est selon, la justesse de l’artiste-commissaire se tient là. En refusant l’autorité de la narration tout en créant un espace propice aux filiations, Bertrand Dezoteux développe ici une exposition qui n’a d’autre but qu’elle-même. L’utile, le productif ou la performance sont alors pris de revers dans cet anti-prix où la hiérarchisation fait place à la simultanéité et la compétition à la collaboration.

Sur le terrain fertile de l’imagination enfantine, les artistes invités développent ainsi de concert leurs voix singulières dont les cimaises tordues et les méandres labyrinthiques de l’espace donnent le ton et le tempo. L’humour et la fantaisie caractéristiques du commissaire résonnent chez tous les artistes invités, notamment son frère Arnaud Dezoteux qui, avec Niche (2021), ne manque pas d’inviter par l’animation pangolins et chauve-souris à déambuler dans une Philharmonie désertée. S’il est une inspiration ou un exutoire fructueux comme dans les dessins de Liv Schulman ou le film L’attaque du dragon d’Irlande (2021) de Stanislas Paruzel, brillant d’un amateurisme exacerbé, le divertissement ne révèle ici que pleinement sa fonction première : le détournement.

Dès l’entrée dans les espaces d’exposition, la pièce de Claudia Triozzi, Un CCN[1] de terre et de paille (2011-2012), fait écho à cette architecture judicieusement fantasque et nous invite à repenser l’institution. La pièce, d’une imposante présence physique et matérielle, dialogue avec l’extérieur au travers de la baie vitrée donnant sur l’esplanade de la fondation. Elle pose avec une essentialité frappante le sous-texte d’une exposition qui va bien au-delà d’une invitation au rêve. Malgré l’emprunt, pas de Vincent Lagaf’ en chemise aux tons criards pour amuser la galerie mais un équilibre émouvant entre fiction et réalité. Après nos déambulations amusées mais toujours alertes et en regard avec l’architecture dense de la gare Saint Lazare, la pièce de Marc Quer, intitulée Plan de coupe (2005), achève avec la même économie de moyen ce que la pièce de Claudia Triozzi avait initié.

Disposée au centre du dernier espace d’exposition, l’œuvre présente une architecture imaginaire composée de morceaux de planches ramassés et disposés bout à bout au centre de laquelle une télécommande sur une petite table basse évoque le dit échappatoire télévisuel. Une maquette composée de miroirs de salle de bain et de boîte de conserve rendant hommage à l’architecture moderniste et une courte dissertation rédigée par l’artiste alors enfant, dans laquelle il explique vouloir devenir architecte, s’ajoutent au premier ensemble. Conçue en quatre temps, la pièce est complétée par une chaise percée recouverte d’une épaisse planche de bois à côté de laquelle est disposée une vieille radio diffusant dans l’intimité d’un casque les désillusions et fragilités de l’artiste. Saisis, on ne peut que se retourner plus lucides sur les mondes explorés avant le sien.

Audacieuse, cette exposition inaugurale de la Fondation Ricard 2.0 marque ainsi intelligemment le développement de son assise parisienne d’une profonde remise en question. Si l’on déplore l’ironie de son passage sous silence dans le chaos général d’une météo sanitaire capricieuse, la promesse reste riche. L’accès gratuit aux espaces d’exposition et la programmation enrichie à la faveur des nouveaux équipements s’accompagnent d’une reconfiguration du Prix Ricard mettant les artistes exposés à l’honneur toute l’année.

A ce titre, le juste prix ne serait-il pas celui qui, enfin, s’interroge sur sa légitimité ?

 

[1] Centre Chorégraphique National

 


Informations pratiques :

Fondation Pernod Ricard

1 Cours Paul Ricard, Paris 8e