le Grand Lobby d'une Chine à vif
Au Consortium Museum de Dijon, l’exposition Grand Lobby de Chen Fei s’impose comme un événement majeur, une première rétrospective institutionnelle en Europe qui invite à une plongée singulière dans l’art contemporain chinois, à travers le prisme d’un univers pictural aussi fascinant qu’énigmatique.
Né en 1983 dans la province du Shanxi et formé à la Beijing Film Academy, Chen Fei transpose l’héritage du cinéma dans ses compositions picturales, pour mieux interroger le spectateur sur l’absurde et le trivial qui structurent nos existences contemporaines.
Ce qui frappe d’emblée dans ses œuvres, c’est cette esthétique délibérément décalée : de vastes toiles saturées d’une laque rouge incandescente ou d’or presque clinquant, où s’agencent poulets, statues de Bouddha, fruits éclatants, et objets domestiques en une scénographie à la fois baroque et méticuleusement composée. Ce sont des natures mortes revisitées, mais pas seulement : chaque tableau fonctionne comme une scène, une sorte de théâtre figé dans le temps où s’exerce une poésie du quotidien transfigurée. Chen Fei, loin de se contenter d’une simple évocation formelle, opère un glissement subtil vers le surréalisme, voire vers une forme de grotesque assumé, au service d’une critique sociale puissante et discrète.
Le contexte socio-culturel de la Chine post-1980, génération de l’enfant unique et de la transformation rapide de la société, irrigue la narration plastique de Chen Fei. Il en résulte une imagerie à la fois familière et étrangère, une dialectique entre la mémoire personnelle, marquée par la tradition et la famille, et les pressions d’une modernité capitaliste en pleine mutation. Le recours fréquent à des symboles populaires, que ce soit les emblèmes religieux ou les références aux espaces publics des halls d’hôtels traduit un entre-deux, un état suspendu entre célébration et ironie mordante.
Chen Fei mobilise également l’héritage de la culture visuelle asiatique — mangas, anime, cinéma — pour construire une esthétique qui n’est jamais décorative mais toujours narrative, ancrée dans la construction d’un récit. Ses toiles sont autant d’écrans où se projettent des histoires fragmentées, souvent absurdes, jouant avec le visible et l’invisible, le spectaculaire et le trivial. Chaque détail, chaque texture, chaque reflet semble pensé comme une séquence cinématographique, un cadrage précis qui capte l’attention tout en distillant un sentiment d’étrangeté.
Grand Lobby au Consortium Museum ne se limite pas à une simple exposition, mais s’impose comme un véritable manifeste d’une nouvelle génération d’artistes chinois qui ne renoncent ni à la complexité de leur héritage ni à la radicalité d’une critique sociale aiguë. Cette rétrospective européenne est ainsi une opportunité rare de comprendre comment, derrière l’apparente légèreté des motifs et la splendeur visuelle, se cache une interrogation profonde sur l’identité, le progrès et le rôle de l’art dans une société en perpétuel bouleversement.
Enfin, l’exposition offre aussi une réflexion plus large sur les modalités de représentation dans le monde contemporain : comment peindre aujourd’hui quand la saturation visuelle et la marchandisation omniprésente menacent la singularité de l’œuvre ? Chen Fei répond par un art paradoxalement discret et flamboyant, une invitation à ralentir, à contempler le détail, à lire entre les lignes d’un monde en mutation.
Grand Lobby n’est pas seulement un parcours pictural, c’est un voyage dans les entrailles d’une Chine contemporaine, de ses rêves contrariés et de ses contradictions flamboyantes. Le Consortium de Dijon, fidèle à son rôle de plateforme internationale d’échanges artistiques, ouvre ici une fenêtre précieuse sur un art à la fois poétique et politique, intime et collectif.
Infos pratiques :
Chen Fei – Grand Lobby
Consortium Museum, Dijon
Jusqu’au 2 novembre 2025