Le défi de Camille Henrot au Palais de Tokyo

Lion d’Argent à la 55ème Biennale de Venise 2013 pour la vidéo Grosse Fatigue qui mettait en scène l’entropie qui préside à l’histoire de l’univers, Camille Henrot (née à Paris en 1978), investit la totalité du Palais de Tokyo dans le cadre des cartes blanches initiées par Philippe Parreno, suivi de Tino Sehgal. Un challenge à la hauteur des enjeux et questionnements soulevés par ses recherches et compilations foisonnantes.

Le concept de « semaine » est cette fois  le système qu’elle étudie et passe au crible de sa subjectivité. Construction humaine arbitraire et pourtant rationnelle en terme de productivité, elle s’en saisit pour en souligner les effets pervers sur nos réflexes et comportements.

« Dog Days » (jours de canicule en anglais) s’organise en 7 grands volets découpant la surface du Palais de Tokyo en 7 séquences selon la structure temporelle de la semaine.

A chaque jour est rattachée une origine mythologique qu’elle traduit en allégorie de nos addictions et désirs contradictoires.

Ainsi du lundi, communément rattaché à la lune, la mélancolie, un entre-deux comme celui dans lequel baignait les romanciers qui travaillaient dans leur lit (Proust, James Joyce). Le studio d’un artiste, ou la chambre qu’elle imagine, rejoint cette dérive intérieure, ces vaines tentatives de maîtrise de soi.

Mardi, gouverné par Arès, dieu de la guerre et de la brutalité, suggère, à partir du film « Tuesday », les rapports à l’œuvre ambigus (domination, faiblesse) et l’emprise du langage dans la stratégie masochiste comme dans les gestes des lutteurs en arts martiaux filmés, entre tendresse et démonstration de force. Le jiu-jitsu dans sa version brésilienne sert alors de référence pour d’autres sculptures qui complètent l’espace.

Mercredi, avec Mercure, est le jour du vent, des signaux, à l’instar de la déferlante de sollicitations de nos messageries saturées « Office of Unreplied Emails ».

Jeudi, tiraillé entre Thor et Jupiter, déploie sa foudre dans l’installation « Cities of Ys », où sont interrogés les fondements de l’autorité patriarcale, tandis que des pièces de monnaie ainsi que le film Grosse Fatigue renvoient à notre tendance à l’accumulation.

Vendredi, pour Vénus et Frigg (déesse de la fertilité dans la mythologie nordique), désigne l’amour, la beauté et son pendant le narcissisme. Ici, Camille Henrot travaille à partir de fleurs dérobées dans le quartier d’Upper East Side new-yorkais fixées sur les pages du catalogue de vente des bijoux de la Princesse Salimah Aga Khan à l’occasion de son divorce. L’artiste nous parle de compensation et d’impossible réparation. Ambiguïté soulignée par son premier film « Deep Inside », où elle distille un lien entre pornographie et sentiment de vide, d’absence.

Samedi, il est question d’espoir et d’effroi avec la figure de Saturne/Chronos. Dans son tout dernier film « Saturday », l’artiste, à partir de séquences de surf extrême, suggère à la fois une recherche de sensations intenses et une vision apocalyptique redoutable.

Enfin, dimanche consacré au repos ou autres rituels de consolation, se traduit par les ikebanas de Camille Henrot, qui s’éloigne de tout respect de leur tradition ancestrale pour suggérer la révolte contre l’ordre établi. De même avec l’installation « The Pale Fox » exposée à Bétonsalon en 2014 (le Renard Pâle) où l’harmonie est perturbée par le désordre de la créativité.

Autour de cette vaste fresque constituée de nombreuses œuvres inédites, Camille Henrot a décidé d’inviter des artistes internationaux avec lesquels elle partage des affinités et collabore : David Horvitz, Maria Loboda, Nancy Lupo, Samara Scott, Avery Singer et le poète Jacob Bromberg.

Nous refermons à regret cette parabole polyphonique aux confins de l’anthropologie, des sciences, de la philosophie, de la cosmogonie, la métaphysique.. où tant de mediums différents cohabitent dans un tout au final cohérent. Comme un appel à nous défaire de cette aliénation progressive à l’uniformisation du quotidien, au prix d’une insurrection à la fois individuelle et collective. Chacun trouvera un sens parmi ses multiples correspondances qui méritent d’être décryptées pour mieux en déceler l’implacable logique.

Commissaire : Daria de Beauvais

Camille Henrot est représentée par les galeries kamel mennour (Paris/Londres), Köning Galerie (Berlin) et Metro Pictures (New York).

 

Par Marie de La Fresnaye


Infos :

Days are Dogs, Carte Blanche à Camille Henrot

Palais de Tokyo

13 Avenue du Président Wilson, Paris 16è

du 18 octobre au 7 janvier 2018