LAURENT MARESCHAL – Le sens et les senteurs

Par Maya Sachweh15 novembre 2021In Articles, 2021, Revue #27

 

À travers ses vidéos, installations, objets, dessins et performances, Laurent Mareschal nous incite à réfléchir sur l’état du monde et des choses, notre rapport à ce monde et aux autres. Souvent ses œuvres appellent tous nos sens, notamment ses installations en épices qu’il réactive régulièrement.

Rencontre avec un artiste engagé.

 

Tu es né à Dijon, mais depuis très longtemps tu vis et travailles à Paris. Tu es diplômé des Beaux-Arts de Paris et du Fresnoy. Que t’a apporté cette double formation ?

 

A l’Ensba, j’ai étudié dans les ateliers d’Anne Rochette et de Guillaume Paris (2000 – 2003). Leurs regards complémentaires et bienveillants m’ont aidé à me recentrer sur une pratique sensible et conceptuelle à la fois, avec un fort apport documentaire. A l’époque, le quotidien israélo-palestinien s’invitait dans la plupart de mes pièces. Ainsi j’ai commencé à utiliser les épices, les motifs de la broderie palestinienne, etc. Au Fresnoy (2003 – 2005),disposant d’outils de création incroyables, j’ai réalisé la vidéo Ligne verte qui a contribué à faire connaître mon travail. Elle montre une fresque peinte sur le mur de séparation entre Israël et Palestine, qui représente le paysage situé derrière comme pour le nier. La fresque se fissure à tel point qu’elle éclate et nous dévoile la triste réalité : le même paysage coupé par le mur avec la porte de sécurité qui referme cette prison à ciel ouvert.

 

Donc c’est ta relation très particulière avec Israël qui joue un rôle important dans ton travail, beaucoup de tes pièces sont en rapport avec le conflit israélo-palestinien, non seulement des vidéos, mais aussi des objets et des installations.

 

J’ai étudié aux Beaux-Arts de Paris au retour de mon séjour en Israël-Palestine (1997-2000). Je me sentais étranger dans mon propre pays. Mon travail s’est alors orienté vers la culture israélo-palestinienne et le conflit omniprésent. Je l’ai vécu de l’intérieur. A Jérusalem, je faisais la plonge dans des restaurants, étudiais l’hébreu avec des palestiniens et le reste du temps je suivais des cours à l’université avec des Israéliens. J’avais les deux sons de cloche en permanence et c’est bien autre chose de vivre cette expérience que de la lire. Cette culture fait partie de la mienne, je n’ai pas eu besoin de me l’approprier. Des liens indéfectibles me lient à ce territoire. Ma mélancolie ordinaire s’y est heurtée à celle, immense, de personnes étrangères dans leur propre pays. Mon matériau de base en art, ce sont les émotions qui émanent d’un récit, d’une expérience que je propose de vivre ou que j’ai vécu et dont je rends compte. Je dois être un conceptuel émotif ! D’ailleurs, la parole et les mots y occupent plus de place qu’on ne le croit.

 

Quelles sont tes pièces « maîtresses », celles qui expriment le mieux le sens de ton travail ?

 

Ce sont avant tout les autres qui choisissent pour vous les « pièces maîtresses ». Le Keffieh, la coiffe palestinienne sur laquelle nous avons brodé des étoiles de David, en est une. Ligne verte en est une autre. Puis il y a Beiti qui représente le sol d’une maison palestinienne en épices, sous forme de carreaux de ciment décoratifs et odorants. Elle a été exposée un peu partout dans le monde, et tout récemment au Château de Fougères-sur-Bièvre.

Pour moi ce sont surtout des expositions essentielles qui ont fait évoluer mon travail, ainsi Impossible Translations au Musée d’Ashdod en Israël (2011) où j’ai été invité par le commissaire Yona Fischer avec cinq pièces axées sur le langage et produites spécialement. Partager un poème de Mahmoud Darwich avec les visiteurs, alors que la ville était sous le feu des missiles du Hamas envoyés depuis Gaza n’est pas anecdotique…

 

Dix ans plus tard le contexte est bien moins explosif. 2021-2022 est « ton » année. Entre l’exposition personnelle au Château de Fougères l’été dernier, l’exposition collective « Matières à mijoter » au MAIF Social Club à Paris et le solo-show à la Maréchalerie de Versailles à partir de janvier, nous avons de multiples occasions de (re)découvrir ton travail.

 

Martine Valentin-Royer, l’administratrice du Château de Fougères-sur-Bièvre près de Blois, m’a donné carte blanche pour investir ce lieu chargé d’histoire. J’ai donc proposé cinq pièces, dont deux repensées pour l’espace et trois produites pour l’exposition. Toutes dialoguent avec le lieu, en particulier Écho, une installation de rubans blancs brillant s dans la lumière noire et courant le long d’un couloir de 25 mètres en forme de coque de bateau renversée. Le tout évoque une longue onde qui frémit au passage des visiteurs. Écho parle du château, fragile témoin du passé.

 

Au MAIF Social Club, j’ai réactivé Ici – Ailleurs, il s’agit d’une sorte d’éclipse solaire réalisée en épices, noire en son centre et qui passe par toutes les nuances de rouges, oranges et jaunes jusqu’aux bords, du plus sombre au plus clair. Les épices évoquent un ailleurs plus terrestre que cosmique.

 

A la Maréchalerie, je vais procéder un peu comme au Château de Fougères et dialoguer avec l’espace et son histoire. A travers une installation dans tout l’espace et brillant dans la lumière noire, j’évoquerai la manière dont le pouvoir prend corps dans l’architecture de Jules Hardouin-Mansart. Une autre pièce remémorera la lettre de Fénelon à Louis XIV prédisant la Révolution avec un siècle d’avance…


 

Matières à mijoter

Jusqu’au 31 janvier 2022

Commissaire : Anne-Sophie Bérard

MAIF Social Club

37 rue de Turenne 75003 Paris

 

Soleil Noir

Du 21 janvier au 3 avril 2022

La Maréchalerie

5 avenue de Sceaux  78000 Versailles