L’Afrique dans tous ses états aux Abattoirs: Musée Frac Occitanie Toulouse

 

Annabelle Ténèze propose une vision plurielle et généreuse de l’Afrique qui croise les expositions sur Marion Baruch et l’art textile dans les collections, offrant des échos formels forts et inattendus. Elle a d’une part invité la commissaire Missia Libsekat (Ethiopie/ Canada) dans le cadre de la Saison Africa 2020-focus femmes, qui signe Au-delà des apparences, il était une fois, il sera une fois, et son prolongement sous la forme d’un forum en ligne (Youtube et Facebook), et d’autre part Revue Noire qui retrace cette aventure exceptionnelle sur plus de 10 ans de découvertes et de révélations artistiques.

 

La directrice des Abattoirs rappelle que l’origine de ce projet multi canal repose sur la volonté initiale d’offrir plusieurs entrées et de donner des clés pour aller vers ailleurs par le biais d’internet, de la musique, de la littérature… Cette démarche s’inscrit de plus dans le prolongement du focus sur la place des artistes femmes africaines L’iris de Lucie qu’elle avait organisé en 2016 alors qu’elle dirigeait le musée de Rochechouart (relire l’interview réalisé avec elle pendant le confinement).

La sculpture d’Ousmane Sow appartenant aux collections du Frac ouvre les expositions et fait le lien entre ces différentes composantes, les fondateurs de la Revue Noire l’ayant choisie pour illustrer le premier numéro sorti en mai 1991.

 

Au-delà des apparences. Il était une fois, il sera une fois prend comme point de départ le décryptage du film du cinéaste Djibril Diop Mambéty La grammaire de grand-mère autour de la place de l’oralité augmentée. Fatimah Tuggar (Nigéria/Etats-Unis) avec Meditation on vacation, collage numérique qui reconstitue l’intérieur d’un avion, pose la question de la place de l’exotisme et des loisirs dans nos vies et son impact à tous les niveaux. A Toulouse, patrie des avionneurs dont l’activité n’a pas cessé pendant le confinement, ce choix d’œuvre n’est pas anodin.

Amira Hanafi (Etats-Unis/Egypte) diffuse une partie de ses œuvres dans l’exposition et sur internet, tout en puisant sur Wikipedia et Google une partie de ses sources. Le programme aléatoire qu’elle a conçu, intitulé and the next thing to know there is Canedian in Mexico, traite des questions de déplacements, de mélange de populations… proposant à chacun de le tester, une nation allant alors se retrouver installée dans un pays qu’elle n’a pas choisi. Betelhem Makonnen (Ethiopie/Etats-Unis) à partir d’une pluralité de mediums détourne la notion d’autoportrait, thème qui parcourt toute l’histoire de l’art dont elle fait un manifeste d’affirmation de soi entre soustraction et apparition. Emma Wolukau-Wanambwa (Ecosse/Angleterre) poursuit une recherche au long cours sur l’histoire d’une des premières écoles d’art de modèle occidental en Ouganda, ouverte par une professeure et artiste anglaise dans les années 1930, soulevant la question de la transmission et du contexte de l’apprentissage. Sa grille d’images faite de manques apparents retrace cet héritage et sa possible relecture actuelle. L’artiste voulait de plus répondre à la présentation faite au 1er étage des Abattoirs du film de Alain Resnais Les statues meurent aussi, censuré pendant de nombreuses années, qui s’interroge sur la place de l’art africain au Musée de l’homme et plus largement sur l’usage de l’œuvre d’art et sa diffusion.

Nicène Kossentini (Tunisie/France) dans plusieurs séries réalisées en 2010 et 2020 dont Stories, se penche sur la tradition des conteuses tunisiennes à travers sa grand-mère entre mémoire défaillante due à son Alzheimer et tentative de reconstruction par sa petite-fille à l’encre d’écolier aux côtés de poèmes arabes de l’époque médiévale. Le Contemporary And (Allemagne) est au départ une revue fondée par Julia Grosse et Yvette Mutumba en 2014 à l’occasion de la première Biennale de Dakar, autour d’une approche décloisonnée de l’art africain. Basée à Berlin, cette revue s’est développée ensuite sous d’autres formes comme cette bibliothèque évolutive et interactive avec laquelle le public peut interagir. Meriem Bennani (Maroc/Etats-Unis) que l’on avait vue à la Fondation Louis Vuitton revient sur les prémisses de Photoshop et du collage numérique dans des mises en abyme de l’image à partir des clichés touristiques, ici de deux chanteuses traditionnelles de générations différentes, « Siham & Hafida » qui se comprennent jusqu’à un certain point. L’artiste mêle différentes formes d’écriture issues des filtres des réseaux sociaux instagram, snap chat … Pendant le confinement, depuis son balcon de Brooklyn, Meriem Bennani avait imaginé un scénario autour de deux lézards, Two Lizards, fable sur l’isolation sociale, vite devenue virale.

 

Revue Noire, une histoire d’arts contemporains africains, à partir d’une sélection d’œuvres multi-formats dont 300 photographies, parcourt les 10 ans d’existence de cette revue créée par Jean Loup Pivin, Simon Njami, Pascal Martin Saint Léon et Bruno Tilliette, rejoints plus tard par N’Goné Fall (actuelle commissaire générale Saison Africa 2020). Son ambition s’est attachée à mettre en avant la création artistique africaine et ses diasporas dans un spectre très large et avant-gardiste incluant les arts plastiques mais également le cinéma, la mode, la musique (en diffusion dans l’espace d’exposition), la danse, le design… Chaque numéro – 35 au total – privilégie une édition de qualité, grand format et en couleur, qui devient vite sa marque de fabrique. Pour ne pas tomber dans une approche strictement ethnographique, la volonté était de s’appuyer sur des comités de rédaction sur place comme nous le rappellent les fondateurs. La place des photographes y est particulièrement importante, véritables relais également dans chaque pays. Il convient de souligner le rôle de déclencheur de l’exposition en 1992 à Paris Revue Noire et la photographie africaine au centre Wallonie-Bruxelles qui réunit pour la première fois 8 photographes : Rotimi Fani-Kayodé, Bouna Médoune-Seye, Djibril Sy, Mama Casset, John Kiyada et Djando Cissé.

Si aujourd’hui beaucoup de ces artistes ont été révélés par le marché, un certain nombre d’entre eux au contraire sont tombés dans l’oubli ou restent encore méconnus. C’est donc une véritable découverte qui nous est proposée dans 4 salles dont l’accrochage se veut volontairement dense et non muséographique à l’instar du foisonnement de ces scènes à partir d’une sélection des 3500 artistes publiés. A une époque où internet n’existait pas, le rôle de la revue a été essentiel à partir d’un financement privé indépendant, autre composante forte de cette démarche. Pascale Marthine Tayou et Joel Andrianomearisoa illustrent en retour comment les artistes ont fait leur cette histoire. Ce dernier, à l’occasion de la Biennale de Dakar de 2016 dresse une sorte d’hommage à Revue Noire, qu’il baptise La maison sentimentale à partir de collages et d’emprunts d’archives. Joel Andrianomearisoa a par ailleurs des liens très forts avec les Abattoirs et une grande place à travers ses multiples phrases en néon disséminées un peu partout dans les espaces, à commencer par la façade. Comme le précise Annabelle Ténèze ce sont les artistes qui sont souvent les points de départ des projets et des mouvements, plus que les critiques.

 

Avec Artistes africains de la collection permanente, les Abattoirs convoquent un certain nombre d’entre eux dans les expositions Marion Baruch : une rétrospective et Sous le fil : l’art dans les collections de Daniel Cordier et des Abattoirs comme la désormais incontournable photographe et activiste sud-africaine Zanele Muholi qui vient de rejoindre les collections des Abattoirs.

 

Enfin, hors-les-murs, Annabelle Ténèze propose également dans le cadre de la Saison Africa 2020 en co-commissariat avec Heba elCheikh (Egypte) le parcours Les esprits de l’eau (programme « Horizons d’eaux 5 »), en partenariat avec le Frac Occitanie Montpellier. Un temps fort conçu avec le Festival de musique Convivencia autour d’un certain nombre de créations inédites d’artistes africains, de vernissages et de concerts sur une péniche/scène navigante sur les bords du Canal du Midi.


Informations:

Les Abattoirs, Frac Occitanie Toulouse

76 allées Charles-de-Fitte, Toulouse

 

Au-delà des apparences. Il était une fois, il sera une fois

Jusqu’au 29 aout

 

L’Afrique dans tous ses états d’art : artistes africains de la collection

Jusqu’au 22 août

 

Revue Noire. Une histoire d’arts contemporains africains

Jusqu’au 29 aout

 

Les Esprits de l’eau/ Horizon d’eaux 5

Du 1er juillet au 3 octobre

 

https://www.lesabattoirs.org/