La photographie a l’épreuve de l’abstraction
Sujet d’envergure et encore peu traité que celui de cette exposition, mené par trois commissaires dans des structures aux spécificités propres : le Centre Photographique d’Ile-de-France, le Centre d’art contemporain de l’Onde et le Frac Normandie Rouen. Après deux ans de réflexions et d’échanges, Nathalie Giraudeau, Audrey Illouz et Véronique Souben nous invitent à découvrir cette pluralité de démarches actuelles selon quatre axes distincts.
Après presque deux siècles d’histoire de la photographie, il paraissait important de regarder ce medium au travers du prisme de l’abstraction. Force est de constater un renouveau d’intérêt pour ces formes abstraites dans la photographie depuis les années 2000, aussi bien avec les jeunes générations d’artistes que de plus anciennes.
La photographie abstraite, non objective expérimentale ou conceptuelle, résulte de l’isolement d’un fragment du réel modifié ou non, ou encore d’une expérimentation, afin de transmettre une sensation et/ou d’induire un questionnement.
Au Centre Photographique d’Ile-de-France, lieu dédié à l’image fixe et en mouvement, le visiteur entre dans l’espace central par la couleur en abordant le medium de façon sensible par la décomposition chromatique du spectre lumineux. Quand Mustapha Azeroual rend visible l’invisible, avec un inventaire des couleurs au lever et au coucher du soleil, Sébastien Reuzé permet d’expérimenter la vision de la lumière entre éblouissement et hallucination. Laure Tiberghien joue avec les papiers à développement chromogène, revenant à l’essence même du medium. Objets sculpturaux pour Camille Benarab-Lopez et Anouk Kruithof qui suspendent des formes molles, tirages réalisés sur résine et silicone ou latex à partir d’images du web non identifiables. Diogo Pimentao joue sur un trouble de la perception entre dessin sculpture et photographie avec une œuvre dans de délicates nuances de gris.
A l’Onde, centre artistique accueillant spectacles de théâtre et expositions, l’approche se fait suite à une réflexion portée sur la matérialité de l’image, prenant pour point de départ l’activité photographique et les recherches du dramaturge August Strindberg avec ses cristallographies et celestographies réalisées au XIXe siècle. Dans l’espace principal, sont présentées les œuvres d’artistes scrutant notre monde physique au plus près, effaçant toute réalité évidente au profit d’une abstraction, telles les photographies sous-marines de Nicolas Floc’h, les pétrographies de Dove Allouche ou encore les prises de vues fragmentaires de nuages réalisées en photo numérique et modifiées par Adrian Sauer, jouant sur la notion négatif/positif. En contrepoint, l’installation de sérigraphies de Francisco Tropa trompe le regardeur avec des images renvoyant à un paysage mystérieux qui ne sont en réalité que matière picturale travaillée. Même constat pour les fluides de Wolfgang Tillmans.
Au Frac Normandie Rouen, structure de soutien et de diffusion accueillant les publics les plus divers, l’approche se fait de manière pédagogique en deux chapitres : une approche par l’archéologie du medium qui se poursuit à l’étage avec l’utilisation des nouveaux procédés technologiques. Le passage de l’argentique au numérique a incité les artistes à se pencher sur l’histoire de la photographie. C’est par ce biais que le visiteur appréhende l’exposition au rez-de-chaussée, se trouvant face à l’image d’un blanc immaculé de Hanako Murakami qui explore ici la matière argentique des anciens daguerréotypes.
Le motif de l’éblouissement, trait d’union entre les trois lieux, renvoie au début de l’abstraction et au rapport à la science, avec les études sur la perception rétinienne. A quel moment le processus fait image ? Les expérimentations autour de la lumière se déclinent dans les dégradés de James Welling, les empreintes de la radioactivité chez Bettina Samson ou encore les variations chromatiques de Michel Campeau.
Dans un chapitre consacré aux approches formelles jouant sur les notions de peinture, sculpture et architecture, Matan Mittwoch convoque la figure du prisme et Jan Paul Evers dissout les détails d’espaces d’expositions éloignant ainsi l’image du réel. Une exploration de la forme et du volume est incarnée dans les papiers froissés de Constance Nouvel, Juliana Borinski ou encore Walead Beshty avec des approches techniques différentes.
Le premier étage est dédié aux nouvelles technologies, avec les diagrammes algorithmiques de Thomas Ruff, les impressions numériques détournées de Xavier Antin ou encore la « picturalisation » ultime et l’appauvrissement de l’image chez Wade Guyton. Avec le digital et les procédés informatiques est-il encore question de photographie ? C’est en tout cas grâce à ces nouvelles technologies qu’est né ce renouveau d’intérêt pour l’abstraction. Mais une chose est certaine, la source principale de nombreuses recherches reste la lumière, même à l’ère du numérique où les perspectives d’exploration paraissent infinies.
Face à la multiplicité des images qui nous entourent aujourd’hui, cette exposition remet en question notre rapport à ce medium, ici libéré de son devoir de représenter, permettant ainsi à chacun de développer tout un imaginaire.
Infos pratiques:
Frac Normandie Rouen
3 Place des Martyrs de la Résistance, Sotteville-lès-Rouen
Dans le cadre du Festival Normandie Impressionniste
Jusqu’au 6 décembre
Centre Photographique d’Ile-de-France
107 Avenue de la République, Pontault-Combault
Jusqu’au 13 décembre
Micro Onde, Centre d’art de l’Onde
8 bis Avenue Louis Breguet, Vélizy-Villacoublay
Jusqu’au 21 novembre