La malle aux trésors des photographies de Polke

Par Gilles Kraemer27 novembre 2019In Articles, Paris, 2019, Revue #23

Mon art est comme un buisson élagué par les préjugés – malgré tout nous grandissons, voire mieux. Et nous proliférons, non seulement vers le haut, mais aussi vers le bas.” Sigmar Polke.

En collaboration avec le Museum Morsbroich de Leverkusen (Allemagne) où elles furent présentées en 2018, LE BAL accueille, sur une conception originale de Georg Polke et de Fritz Emslander, 294 photographies inédites de Sigmar Polke (1941 – 2010) provenant de la collection de son fils Georg. Ses prises de vue, restées de longues années dans une caisse chez Georg, surgissent de  l’oubli.

“ Son œuvre protéiforme peut s’apparenter à un champ de bataille où s’affrontent matières et sujets dangereux ” souligne Bernard Marcadé, co-commissaire avec Diane Dufour, en présentant cet ensemble des années 1970 à 1986. Très rapidement, Polke “utilise le médium photographique, à la fois de manière documentaire pour réaliser ses peintures, mais aussi de façon autonome. Il existe chez lui une contamination réciproque de ces deux domaines, au point qu’il est autant possible d’évoquer la dimension photographique de ses peintures que la dimension picturale de ses photographies ” précise-t-il.

Quelles sont ses “ infamies photographiques ”, ses clichés sur cette pratique indépendante de son œuvre, un médium qualifié de mauvaise réputation, honteux au sens strict de l’infamie, comme l’exposition les titre ? Ce sont des images accidentées car largement manipulées lors du tirage, des photographies en noir et blanc, en majorité de format à l’italienne. Des photographies de tous les jours, des instantanés dans la démarche multiforme de cet artiste réfractaire à tout systématisme et à toute règle préétablie. “ Dans une position esthétique et éthique éminemment libertaire ” pour Bernard Marcadé.

Ce qu’il saisit, c’est le quotidien que la scénographie de Cyril Delhomme présente en de très longues frises de photographies, comme le déroulé d’une vie. Une collecte du temps passé pour des intermittences de souvenirs. Hambourg et Dusselford dans la tristesse de ces villes. Avec sa famille en Tunisie en 1971. La série Lady Shiva, Zurich, études d’ombres, de mouvements, autour d’une pratique de l’insolation (1977). Des portraits de ses ami(e)s, dont celui de Baseltitz. Lui-même pouffant de rire à Zurich (1976) ou avec de grosses lunettes, perdu dans ses rêveries (1980). Des inconnus, des réunions, des repas.

Face à sa série des photographies monochromes, des essais de noir, comment ne songerait-on pas à ses tableaux monumentaux Axial Age exposés dans le pavillon central de la 57e Biennale de Venise (2007), dans cette abstraction et ces variations subtiles autour d’une seule couleur ? À Venise également, il présenta Athanor dans le Pavillon allemand en 1986; pour la première fois apparaît la quête alchimique de l’artiste dont le titre de l’exposition renvoie au creuset où se produit la transmutation. Une large section au BAL est consacrée à cette pratique développée lors de cette XLIIe Biennale avec sa fascination pour l’alchimie et son désir d’expérimenter. Une peinture hygroscopique, aux couleurs hydrosensibles passant du bleu au rouge, appliquée sur les murs du Pavillon, réagissaient aux variations atmosphériques, à la lumière, à l’humidité. Des photographies et le catalogue conservent l’image « work in progres » de son installation italienne, dans un rendu fantasmagorique.

La photographie, qu’est-ce, sinon de l’alchimie au moment de son développement ? C’était au temps de l’argentique. Polke aurait-il la même démarche maintenant à l’égard du numérique ?

 

Par Gilles Kraemer


Infos :

Les infamies photographiques de Sigmar Polke

LE BAL – 6, impasse de la Défense – Paris 18e

13 septembre – 22 décembre 2019