jusqu'au 17 septembre 2017

Même si la Documenta 14 en a dérouté plus d’un, elle reste néanmoins un évènement incontournable de notre scène artistique européenne !

Cette année, le commissaire Adam Szymczyk avec une équipe de curateurs, a concocté un parcours en 35 lieux avec 160 artistes internationaux entre deux villes Athènes et Kassel. L’histoire est au coeur du débat de la Documenta depuis sa naissance en 1955. Mais cette année, sous le titre de «Learning from Athens », elle opère un déplacement en adoptant le point de vue de la Grèce et traite de la question des réfugiés et des frontières dans une Europe en proie à une crise profonde. Il s’agit alors de « regarder le nord depuis le sud ».

Ainsi le Fridericianum, habituellement au cœur de la Documenta, est dépossédé de son rôle principal et sert d’écrin à la collection du EMST, musée national d’art contemporain d’Athènes. On peut lire sur son fronton le message de l’artiste turc Banu Cennetoğlu, «Being safe is scary». C’est sur la Friedrichsplatz, à l’endroit même où en 1933 furent brûlés les livres d’auteurs juifs ou marxistes, que l’artiste argentine Marta Minujín a installé son monumental et non moins efficace « Parthénon des livres » censurés aux mêmes dimensions que le Parthénon.

Dans la Documenta Halle, des œuvres un peu trop évidentes comme les épaves échouées des réfugiés transformées en instruments de musique par l’artiste mexicain Guillermo Galindo côtoient des pièces plus subtiles telles l’accrochage de vêtements teintés dans différents tons d’indigo récolté à partir de la culture de plantes adjacentes de l’artiste malien A.Fofana ou encore les peintures de l’artiste sénégalaise El Hadji Sy réalisées avec ses pieds en opposition à l’élection de Senghor. Les masques colorés et emprunts de chamanisme de l’artiste Kwakwaka’wakw Beau Dick nous évoquent des rituels étranges et les délicates broderies de l’artiste sami Britta Marakatt-Labba retracent l’histoire et le quotidien d’un peuple où s’enchevêtrent profane et sacré. L’artiste chilienne Cecilia Vicuña propose un “quipoems”, tresse de laine rouge nouée et suspendue au plafond évoquant un cordon ombilical. Sans oublier bien sûr un merveilleux ensemble de dessins et peintures de l’artiste suisse Miriam Cahn et les peintures colorées abstraites de l’artiste S.Whitney dédiées au jazzman B.Morris…

La Neue Galerie offre probablement l’exposition la plus dense et la plus pertinente avec des œuvres historiques traitant des questions de nationalité et d’appartenance, mais aussi de dispersion et de perte. Siège principal de la conscience historique, il est le lieu où l’héritage d’Arnold Bode, fondateur de Documenta en 1955, est invoqué. L’artiste polonais Piotr Uklanski avec un ensemble de 203 portraits, « Les Real Nazis », confronte photos d’archives de Nazis avec les photos des acteurs les ayant incarnés. L’artiste péruvien Sergio Zavallos réduit les têtes d’assassins, de leaders politiques et économiques, et les installe sur le même plan. Maria Eichhorn, propose sa vision du Rose Valland Institute (2017), avec une bibliothèque de livres volés n’ayant jamais été restitués ou réclamés par leurs propriétaires. L’artiste sénégalaise Pélagie Gbaguidi présente son école improvisée, constituée de bureaux d’écoliers sur lesquels reposent des photos dénonçant la violence de l’apartheid. A découvrir également les tableaux saisissants de Pavel Filonov, la vidéo de Geta Brătescu, les dessins de David Schutter et tant d’autres plus historiques….

Palais Bellevue : La vidéo opérette aux couleurs pop « The Dust Channe » de l’artiste israelo-américain Roee Rosen, se déroule dans un environnement bourgeois d’une famille israélienne montrant une dévotion très particulière aux aspirateurs (où la poussière est assimilée au sable du désert), et dénonçant avec un humour décapant et parfois trash la xénophobie et les centres de détention pour réfugiés politiques dans le désert israélien.

La Neue HauptPost est un nouveau lieu cette année dans une ancienne poste située dans le quartier Nord de Kassel, lieu des différentes communautés d’immigrants. Y sont proposées de nouvelles productions en référence au courrier et aux systèmes de distribution. Rasheed Araeen, fondateur de la revue «Third text » en 87 et d’un forum de la culture anti-colonialiste, reconvertit ses magazines et peintures en mobilier. Irena Haiduk propose une mini-chaîne de production et une performance « Jugoexport ». Theo Eshetu dénonce l’idéologie capitaliste et les notions de compétition néolibérale avec une projection d’images de personnalités actuelles qui viennent se superposer aux photos de masques représentant les 5 continents sur une tapisserie du musée de Berlin. Maret Anne Sara présente sa version du drapeau Sami , constituée de crânes d’animaux, en référence à la lutte pour la préservation des droits de sa communauté . L’artiste australien, Gordon Hookey, raconte l’histoire de son pays au travers de la vision aborigène dans une peinture monumentale aux couleurs pop. On y voit aussi les architectures de savon noir d’Otobong Nkanga, une nouvelle dénonciation des rapports Nord-Sud par Sammy Baloji, de superbes images en noir et blanc d’Ulrich Wüst montrant des paysages d’Allemagne de l’Est désertés.

Torwache : Ibrahim Mahama, originaire du Ghana, recouvre les bâtiments historiques de sacs de toile de jute cousus entre eux et en modifie l’esprit des lieux. Fabriqués en Asie, envoyés dans le monde, ils servent au transport du caco, café, riz du Ghana vers l’Europe et les US.

Glass pavillions : Six anciennes boutiques deviennent des pavillons qui abritent des interventions d’artistes le long de la Kurt-Schumacher-Strasse ,frontière sociopolitique entre le Centre-ville, centre culturel et commercial, et le Nord de la ville, foyer des immigrants turcs, éthiopiens, bulgares depuis les années 60/70. On y découvre les installations de l’artiste nigériane Otobong Nkanga, de l’artiste américain Dan Peterman et de l’artiste libano-néerlandaise Mounira Al Solh.

Grimmwelt museum : Dans le nouveau musée consacré aux frères Grimm surplombant le parc Karlsaue, il ne faut pas manquer les merveilleux dessins et textes de Roee Rosen qui propose une relecture alternative du Marchand de Venise de Shakespeare en adoptant le point de vue de l’usurier juif Shylock.

Mais il faudrait encore évoquer l’ancienne gare avec l’installation video de Michel Auder et celle du collectif sudafricain iQhiya, le musée de l’histoire de la ville et la video d’Hiwa K, le musée des sciences avec le merveilleux film de l’artiste cambodgien Khvay Samnang, les œuvres dans l’espace public et notamment l’empilement de canalisations de l’artiste kurd iraquien Hiwa K où sont rangés des objets de migrants, les performances dans une ancienne fabrique de locomotives ensuite réquisitionnée pour l’ armement militaire. Mais laissons à chacun de découvrir tant et tant d’artistes au fil d’un parcours chaque fois si enrichissant !

Sylvie Fontaine