Un événement « art contemporain » de l’Année France – Colombie 2017

Maison de l’Amérique latine217, Boulevard Saint-Germain, 75007 Paris. Jusqu’au 20 décembre

Abécédaire

L’année de la France-Colombie est l’occasion pour la Maison de l’Amérique latine de mettre à l’honneur Johanna Calle, avec une exposition de dessins littéraires, relayant avec subtilité les causes humaines passées sous silence.

Peintre et traductrice trilingue, l’artiste pense comme Lacan que le langage nous façonne, et considère dés 1994 le Dessin comme véhicule universel pour dessiner la pensée en revisitant subtilement nos grilles de lecture et nous donnant littéralement à voir et à « transpenser » le monde.

Entre lisible et illisible, signifiant et signifié, le prisme achromatique de cette lecture n’en demeure pas moins multiple: ligne, grille, mécanographie, letraset, chiffre, morse, tapuscrit, ou même caséine, qui, par paronomase et autres figures de style artistiques inédites, seront juxtaposées au tissé ou brodées, galvanisées, superposant photos anciennes, livre de comptabilités ou diagrammes statistiques, mettant habilement en relation anthropologie sociale, ethnolinguistique et sémiologie.

Ces allitérations visuelles, entre abstraction et figuration, dépassent le stade du problème colombien: son message universel brasse les questions de la fragilité individuelle, du chaos économique, l’écologie et bien entendu la préservation des peuples.

Afin de questionner l’histoire de l’idéologie de la langue espagnole en Amérique latine, elle observe qu’au sein des 68 langues vivantes en Colombie, 97 termes recensent le mot pluie, autant d’ idiomes repensés, abordant des points de vue et nécessités humaines différentes (Lluvias).

Autre phonème: des bulles vides parlent du seul point d’accord lors des énièmes reconductions de réunions pour la paix, entre Farc et Gouvernement.(Dialogos).

David Oggioni

Des lignes de cahier de comptes se brisent pour dire la crise (Contables), réduisant  ainsi l’Histoire à l’essentiel.

Plus le thème abordé est dur plus délicatement surgira un procédé maïeutique s’adaptant au propos, tel une onomatopée esthétique.

Aussi, sur les pas de la pensée inspirée par Manuel Quentin Lame, des arbres dits utiles, proposés au moyen de pages de livres notariaux juxtaposées, déplorent ils en creux le déplacement des paysans par suite de la déforestation – entre autres conséquences, estimé à 6 millions de personnes (Perimetros).

À dessein de nous alarmer quant à la fatale extinction de la biodiversité, mais également le manque d’habitations dû au système spéculatif des ressources et la résignation des peuples concernés, Johanna écrase simplement au mur des cages à oiseaux (Perspectivas).

Digne héritière de l’avant-garde minimaliste sud-américaine au même titre que Bernardo Salcedo ou Antonio Caro, elle réussit à en dire plus avec moins, tout en créant une image poétique qui révèle son potentiel signifiant à mesure qu’il nous est dévoilé.

Vol de Nuit de Saint-Exupéry se retrouve ainsi finement retranscrit à l’encre bleue dans la série Ciel Étranger.

David Oggioni