Immortelle. Vitalité de la jeune peinture figurative française.

Par Abigaïl Hostein6 mai 2023In Articles, 2023

 

Le MO.CO de Montpellier présente actuellement une exposition entièrement dédiée à la jeune peinture figurative française avec 400 œuvres, 122 artistes, tous nés entre 1970 et 1990.

« Ce qui unit cette génération c’est une affaire de liberté » écrit Amélie Adamo, co-commissaire invitée de l’exposition au MO.CO.

 

Le titre de l’exposition a été choisi en référence à la peinture, « immortelle », survivante, combattante, qui traverse les âges en se métamorphosant pour s’adapter à son nouvel environnement, à une société en perpétuelle mutation. Dans les œuvres présentées flotte le geste des artistes qui ont précédé. En cela, elles leur rendent hommage. Ces œuvres, loin d’être dans la redite, témoignent d’un geste ardent, à l’image du monde en mouvement que nous connaissons. Ces artistes exploitent l’hybridation des techniques et des sujets, et font renaître une iconographie ancestrale, avec les codes contemporains. Amélie Adamo écrit dans le catalogue de l’exposition que « […] ce qui se joue [c’est] l’épaisseur d’une matière incarnée […] où se réinventent les apparences du réel. » La jeune peinture figurative française interpelle.

La peinture française n’en est pas à son premier combat. En 1941, une exposition intitulée Vingt jeunes peintres de tradition française se tenait en la galerie Braun à Paris. En réaction à l’art étiqueté « dégénéré » par les Nazis, les artistes de la scène artistique française s’étaient unis autour de Jean Bazaine et de l’éditeur André Lejard, afin de revendiquer et de présenter la production picturale française contemporaine. Et, après la Seconde Guerre mondiale, la peinture figurative et la peinture abstraite se sont affrontées. Dès lors, la peinture figurative n’a eu de cesse d’expérimenter et de s’engager dans diverses voix, donnant ainsi naissance à différents styles. De l’art brut et informel à CoBrA, de la figuration narrative à la figuration libre des années 1980, la peinture figurative a su garder éveillée sa capacité à se réinventer décennie après décennie, en puisant dans l’actualité, tout en regardant en arrière.

Il y a toujours eu, dans la peinture figurative, cette nécessité d’affirmer son existence, de crier son combat. Si elle a été menacée de tomber en désuétude, face à l’abstraction, à la photographie, face aux nouvelles techniques numériques de création, la peinture figurative n’a jamais cessé de se réinventer. Elle a toujours défendu sa place sur le devant de la scène artistique. Si nous en doutions, l’exposition du MO.CO nous le confirme. Il se n’agit pas de faire la guerre à la peinture abstraite, la sculpture, la photographie, les NFT (non fongible token) et autres médiums, mais bien d’affirmer la présence et la force de la peinture figurative comme voie, moyen, et discours autonomes. Comme l’écrit Numa Hambursin, directeur général du MO.CO et commissaire de l’exposition : « Oui, la peinture figurative vit aujourd’hui un âge d’or. »

90 artistes, 250 œuvres exposées. Chacune d’elles est un monde. Différentes techniques et procédés sont à découvrir, de la mise au carreau à l’assemblage d’objets sur toile, du style hyperréaliste à la fresque éphémère. L’exposition nourrit en profondeur celui ou celle qui accepte de s’y abandonner. « La peinture de cette génération [est] un nœud de tensions où s’incarne le visage de l’époque et de l’âme humaine » écrit Amélie Adamo.

Au MO.CO, l’exposition s’articule autour de quatre axes. « Le désir de peinture », « Fantômes », « Vertiges », et « Cycles ». La première section est conçue autour de la peinture, du besoin de créer. La peinture pour elle-même, l’amour de ce médium et la liberté qu’il promet. L’amour du médium, oui, mais aussi l’amour de ceux qui y ont eu recours avant nous. Au détour d’un portrait, d’un regard, d’un intérieur, le souffle de l’histoire de l’art envahit l’espace. La continuité historique prend vie dans la nouveauté et la fraîcheur des productions. Les œuvres intégrées au « désir de peinture » reflètent l’influence des grands thèmes et artistes de l’histoire de l’art. Nous en prenons conscience dès le début de l’exposition, puisqu’une part d’héritage des maîtres anciens survit dans chaque œuvre présentée.

Dans son Autoportrait en vampire de 2019, Claire Tabouret se représente de trois quarts, la bouche maculée de sang. Elle semble prise sur le fait. Le visage légèrement incliné vers l’avant, comme venant de se redresser après un acte violent. Son regard nous fige et nous attendrit. L’acidité des couleurs participe à inscrire cette œuvre dans notre époque. Sinon, ni l’arrière-plan ni les vêtements ne permettent de dater l’œuvre. Malgré la noirceur de l’imaginaire du titre, accentuée par la présence de ce sang, le rose de ses joues et la brillance de ses yeux nous émeuvent. Au visage très juvénile de l’artiste s’ajoute une moue candide, un possible clin d’œil aux visages barbouillés des jeunes enfants.

La découverte de la section « Fantômes » fait remonter des souvenirs enfouis en chacun de nous. Qu’ils soient personnels, ou relèvent d’un moment de l’Histoire, les souvenirs qui surgissent face aux œuvres de cette salle nous aspirent dans un puissant tourbillon de douleur. Nous glissons dans les abîmes de l’Histoire. Le Grand Genre de la peinture d’histoire connaît une renaissance, avec des éléments issus de l’imagerie et du vocabulaire contemporains. L’atmosphère à la fois pesante et envoutante qui règne est due aux grands formats présentés, qui nous enveloppent. Les personnages peints nous surplombent, nous dominent, et nous basculons dans la peinture.

Dans Marie-Madeleine, Ronan Barrot installe deux personnages dans une ambiance hors du temps, fantomatique, relevant d’un geste vif, et d’une matière picturale brossée. Magistral dans ses dimensions et dans sa position pyramidale, ce duo de corps imbriqués construit et équilibre la composition. Il y a quelque chose de sauvage et de primitif dans ce travail. Une sorte de mise en abyme s’installe, avec cette vision en plongée du corps allongé, que le corps penché au-dessus voit à son tour selon le même angle. Cette possible transposition du spectateur, à travers la figure dominante du tableau, participe à lui faire vivre les vibrations de la peinture depuis l’intérieur.

« Vertiges » regroupe des œuvres dans lesquelles chaque environnement peint, intérieur ou paysage, bâti ou rêvé, interroge notre relation aux modules qui nous entourent. Notre façon de nous mouvoir, de nous engouffrer, de fuir ou de nous laisser aller dans un espace, est mise à l’épreuve. Du sentiment d’enfermement à celui d’évasion, de l’oppression à l’immensité, ces œuvres surprennent en proposant des échantillons de vues quotidiennes, basculées dans un moment suspendu, silencieux. Cela n’est pas sans faire écho au regain d’intérêt porté à la nature, aux grands espaces comme aux espaces plus rares et reculés, depuis la pandémie de 2020. En effet, comment mieux se rendre compte de son besoin de respiration, qu’en étant forcé de s’isoler ? Si la section précédente portait sur la gravité des épisodes, passés ou présents, par l’acidité des couleurs, et la suggestion voire l’affirmation du drame et du chaos, la section « Vertiges » invite à une déambulation plus apaisée.

En 2022, Abdelkader Benchamma réalise un diptyque intitulé Arbres — Mondes souterrains, une encre sur papier marouflée sur toile, sur laquelle se répandent des tâches d’encre. Ces dernières laissent passer la lumière en filigrane. Cette lumière qui semble jaillir de derrière les interstices, c’est le blanc du papier. Benchamma utilise le tracé pour délimiter les zones d’encre, et les zones laissées nues. L’encre se répand, occupe l’espace, et revêt un aspect très lisse tout en apportant une impression de brillance à l’ensemble. Elle semble encore couler sous nos yeux et cela participe à la sensation de fourmillement des couleurs. Les nuances de brun et de violet évoquent la nuit tombée avec, dans un contraste simultané, ce blanc éclatant, faisant écho à la clarté d’un lever de soleil. Nous perdons nos repères en entrant dans cette canopée où les formes ondulent et créent des lueurs lumineuses, et des reflets dans une eau translucide.

Dans une ultime salle, intitulée « Cycles », le corps s’anime, il vit, il meurt. Il revêt des formes hybrides, parle d’innocence, exprime sa souffrance. Le genre de la vanité est ici incontournable. Dans les représentations artistiques, tout particulièrement picturales depuis le XVIIe siècle, une vanité évoque l’aspect éphémère de la vie. Il s’agit d’une allégorie qui s’exprime à travers la locution latine Memento Mori, « souviens-toi que tu vas mourir ». Les âges de la vie sont représentés, ainsi que les moments forts qui la rythment. La notion de cycle insiste sur cette boucle qu’est la vie, cet éternel recommencement qui fait écho à celui de la jeune peinture figurative française.

Dans cette salle, l’œuvre Érinyes de Stéphane Pencréac’h raidit le spectateur au moment de sa découverte. On se retourne et on tombe face à face avec cette déesse de la vengeance, issue de la mythologie grecque, fille du dieu du Ciel, et de la déesse de la Terre. Terrifiante, cette femme au corps acéphale nous surplombe. Un drapé noir posé sur ses épaules symbolise ses ailes. L’ambiance ténébreuse et la profondeur de l’arrière-plan semblent prêtes à nous engloutir, sous le joug des Érinyes. Sur la toile surgissent des ombres. Des créatures ailées ou des âmes emportées, abritées sous les ailes de la déesse.

L’exposition du MO.CO a accompli l’objectif qu’elle s’était fixé : rendre compte à quel point la jeune peinture figurative française est d’une puissance venant honorer la tradition qui l’a vue naître. Elle retentit en chacun de nous en ce qu’elle a de sincère et de révoltant. Elle compose, avec ce qu’elle sait du passé et ce qu’elle vit au présent, une production où chaque trait, chaque forme, chaque regard, chaque arbre, nous en dit plus sur nous et notre époque que nous l’apprennent un miroir ou une télévision. Cette capacité à puiser l’émotion au plus profond de soi, et à la faire jaillir de façon tendre ou crue, est caractéristique de la Vitalité de la jeune peinture figurative française.


 

 

Infos pratiques :

MO.CO, 13, rue de la République, Montpellier, jusqu’au 4 juin, mardi au dimanche 11-18h.

Le 2e volet de l’exposition au MO.CO.Panacée, 14 rue de l’École de Pharmacie, Montpellier, s’est terminé le 7 mai.