Halte à CIRCULATION(S)

 

Privilège désormais proscrit, le CENTQUATRE offrit, samedi 14 mars, les premières et dernières heures de visite à l’édition 2020 du festival CIRCULATION(S). Alors que tour à tour les frontières se ferment, cette manifestation – au nom aujourd’hui presque ironique – honore l’inventivité, la diversité, et l’émergence photographique européenne, et célèbre cette année sa dixième bougie anniversaire.

Ce festival révélateur de plus de 382 artistes, depuis son apparition en 2011 à l’initiative de la fondatrice de l’association FETART, Marion Hislen, a su étoffer sa programmation visant « un décloisonnement et une confrontation des regards », mêlant conférences, workshops, lectures de portfolios, ou mettant en place des studios photo. La sélection de cette année réunit près de 300 œuvres, 45 artistes et 16 nationalités. Avec comme invités l’école praguoise FAMU, et la galerie, désormais berlinoise, Persons Projects représentant des artistes de l’école d’Helsinki, et optant pour un focus sur la scène biélorusse, cette édition, dont la direction artistique fut confiée à Audrey Hoareau, met en lumière la multiplicité artistique de l’Europe.

Le CENTQUATRE, emblème du croisement des pratiques et de la multidisciplinarité culturelle, favorise une déambulation aérée, compartimentée sans pour autant en être cloisonnée, entre les différentes sections de l’exposition. Les premiers pas sont accueillis dès l’entrée par une invitation au voyage, cet aperçu des projets photographiques réalisés dans le cadre du Hors-les-murs, Gares et Connexions, en partenariat avec la SNCF. Notre regard est peu après attiré par les couleurs chatoyantes des uniformes excentriques des motards de Nairobi, tandis que l’appel de la route retentit à nos oreilles à travers le vrombissement de leurs montures. Bodo Boda Madness est une ode à l’excentricité ; l’artiste néerlandais Jan Hoek collabore avec le créateur de mode ougando-kényan Bobbin Case, dans ce projet héroïsant les fiers taxis-motos de la ville. En voisins bien distincts de l’îlot central se détache tout particulièrement l’installation de Margaux Senlis : UXO (“UneXploded Ordnance”, en français “Munition Non Explosée”). La poésie des guirlandes de petites cuillères au-dessus de nos têtes, objets aériens au semblant d’innocence, rehausse l’engagement politique de la photographe, de ses voyages au Vietnam, Laos et Cambodge, de son exploration des dangereuses reliques d’une guerre dévastatrice. Accrochage fin et harmonieux, où portraits des habitants, paysages sauvages et assemblages lourds de symbolique se superposent et imposent leur histoire.

L’étape « Ceux que l’on ne voit pas » accroît cette tendance au militantisme et à la dénonciation sociale. Sur un mur des visages apparaissent, puis s’effacent ; existent-ils seulement ? Maxime Franch questionne ici la valeur de la photo d’identité, testament bureaucratique d’appartenance à la société, dérisoire pour les individus oubliés. « Les Invisibles » est une série rappelant à nos consciences que nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, sont sans-abris. Un autre pan du mur consacré à Anita Sciano révèle un autel de minutieux polaroïds altérés, révérence aux femmes martyres des temps modernes. Quant à la photographie de l’artiste germano-iranienne Schore Mehrdju, elle capture les motifs, les voiles et leurs plis, dissimule les visages, découvre les silhouettes à travers ses jeux d’ombres, et évoque ainsi le critique statut des femmes au Tadjikistan.

Grande attention est, au long de l’exposition, accordée aux installations, complexes, étudiées ; fortes de superpositions, elles révèlent les strates de ces réflexions menées sur ces enjeux de société. L’installation vaporeuse de Henrike Stahl en est une parfaite illustration. L’étude de son accrochage, se fait au travers de voiles imprimés flottants, multipliant de ce fait les plans, les visions, les points de vue, sur ces photographies, brutes et directes, révélatrices d’une angoisse de destruction, de disparition. Un salut tout particulier s’adresse à la singularité de présentation de ses photographies, suspendues et légères, libres de cadres ou de crochets, mobiles envoûtant le regardeur. Murmure effrayant dont cette installation fait partie, la section « Le monde de demain » nous met en garde : notre avenir aux dépens de notre passé. A cette image, la palette aux pastels presque pop des photographies de Marie Lukasiewicz dénonce notre fascination pour les coraux marins et renseigne sa destruction, son asservissement, au service de l’industrie pharmaceutique.

A cette enquête sur notre futur succède la recherche des origines, la fouille des souvenirs, le tâtonnement des identités : « En quête de soi ». Avec « New Dutch Views », le suisse Marwan Bassiouni investigue la représentation de l’Islam en Occident, le rapport à la foi, la question de la double culture, à travers des vues, oscillant entre architectures et paysages, prises depuis des mosquées aux Pays-Bas. Vera Hadzhiyska, dans une installation multimédia, se penche sur les secrets de l’histoire Bulgare, particulièrement les changements de noms imposés à la population musulmane en Bulgarie entre 1912 et 1989. Enfin Marvin Bonheur nous offre les images aussi fortes que touchantes de sa « Trilogie du Bonheur », depuis les no-go zones de Seine-Saint-Denis.

A travers cette apparente classification ordonnée, un bourdonnement d’interrogations se décuple au fil des sections : sur notre futur, européen, national et sociétal ; sur nos identités, plurielles et individuelles ; sur la durabilité d’un système acquis. Reflet parfait d’un statut européen ébranlé, suite au Brexit, via une solidarité décrue face aux crises, cette exposition, au contexte chagrin et pourtant pertinent, pointe du doigt cet égarement. CIRCULATION(S) confronte la réalité, le manque d’unité, et vise tout autant à rassembler autour de cette émergence propre aux échanges, ainsi qu’à nous convaincre d’une transversalité, d’une mobilité et d’une liberté d’expérimenter à l’échelle européenne.


INFOS :

CIRCULATION(S) , Edition 2020

FESTIVAL DE LA JEUNE PHOTOGRAPHIE EUROPÉENNE

Au CENTQUATRE-Paris

5 rue Curial Paris 19e

www.festival-circulations.com

www.104.fr

 

Prolongé jusqu’au 26 juillet 2020