Gaspar Willmann : la petite mort 

Par Antoine Champenois27 novembre 2020In Articles, Portrait, 2020

 

Ouverte le 16 octobre et malheureusement écourtée par l’annonce d’un second confinement généralisé dû à la crise sanitaire, retour sur « la petite mort », première exposition personnelle de Gaspar Willmann invité par les commissaires Élisa Rigoulet et Antoine Donzeaud à investir l’espace d’art Exo Exo. Conteur 2.0, l’artiste mêle dans les histoires qu’il raconte un protocole rigoureux et un rapport instinctif aux affects créant un univers visuel à la fois générique et déterminé.

Au centre de la salle d’exposition et au cœur du projet, un écran de télévision sur pied diffuse la vidéo éponyme. A travers le script qu’il fournit à son acteur trouvé sur fiverr, plateforme web de services d’interprètes indépendants et parangon de l’uberisation du métier, l’artiste nous raconte avec nostalgie une histoire d’amour avortée sous les traits d’un vieil homme affable. Il est le premier indice de la plongée dans un univers fictionnel à la temporalité floue : le « Il était une fois » d’une histoire d’amour online à l’ère du capitalisme. Monteur habile, Gaspar appose au script des images mixtes, réalisées, récupérées, transformées ou non, caractéristiques de son travail. C’est le cas de celles issues du site chaturbate* qui à l’instar de fiverr, offre une plateforme de libre diffusion pour les travailleurs du sexe en ligne que l’artiste tente de diriger vers une démonstration sentimentale plus que sexuelle par le biais du tchat privé.

Clés de lecture du dispositif, des coupures narratives invitant à la contemplation rythment le monologue du conteur. Elles répondent aux toiles sur les murs et au rideau qui agence l’espace d’exposition et fonctionnent ensemble comme scénographie de la vidéo. Ces visuels sont accompagnés de musique et de murmures comme autant d’emphases sentimentales rêvées ou remémorées. On y voit fenêtres voilées ou embrasures de portes qui révèlent partiellement un coucher de soleil ou un espace adjacent. Découvertes, au sens cinématographique et théâtral, d’un ailleurs indiciel dont la composition hybride, à la fois peinte et photographique, perturbe notre rapport au réel autant qu’elle séduit et nous emporte vers le fictionnel.

De ces images de natures et d’origines diverses rassemblées résulte un récit néo-romantique identifiable dans sa construction autant que dans ses effets. L’homme, désormais seul, raconte son drame personnel avec une certaine nostalgie qui par définition ne s’impose pas à tous telle que la conçoit l’artiste mais est plus humblement et intimement laissée à l’appréciation de chacun.

Dans son communiqué de presse, la commissaire Élisa Rigoulet prévient à juste titre : « Sans doute on s’en fout de ce qui départit le vrai du faux. Qu’il faille souvent de la mise en scène pour rencontrer le réel. ». Loin de la tentative d’un commentaire social sur la mise en scène de soi dans un monde technocratique et monétisé, c’est avant tout la dimension affective, l’ontologie de la visibilité mise en place au sein de ce conte d’un nouveau genre qui intéresse l’artiste. Le regard performatif d’autrui, « esse est percepi » -nous sommes ce que l’on perçoit de nous- traverse toute sa pratique. Il décale la dichotomie entre le vrai et le faux vers celle plus complexe mais peut-être plus constructive de l’actuel et du virtuel comme choix de manière d’être au monde plutôt que comme condition d’existence intangible.

Au-delà des histoires particulières que Gaspar Willmann fabrique en les recomposant, c’est une histoire de la circulation et de la transformation des images qu’il raconte dans son processus créatif. Dans son ordinateur tourne un fichier photoshop qui manipule une banque de données comme autant d’histoires virtuelles, non pas tant au sens aujourd’hui commun de leur existence numérique mais plutôt au sens de leur potentiel d’existence actuel ou réalisé. Cette fonction virtuelle des images, c’est précisément celle que questionnent les figurations sans sujet, activées par l’artiste dans la vidéo et par l’imagination du spectateur.

« La petite mort » désigne ainsi à la fois la dimension technique du travail de l’artiste, qui fait advenir sur la toile une histoire achevée, et le rapport intime et affectif qui déclenche cet avènement. La vidéo et ses correspondances peintes deviennent alors autant de points d’ancrage subjectifs à partir desquels, par rapprochement ou détachement empathique, nous prenons le temps de penser notre propre rapport au réel dans un monde en perte de vérités.

Diplômé des Beaux-arts de Lyon en 2019, Gaspard Willmann est actuellement en résidence à la Cité internationale des arts à Paris.

 


Infos pratiques:

Gaspar Willmann, La petite mort

Commissaires : Élisa Rigoulet et Antoine Donzeaud

 

EXO EXO

10T rue Bisson, Paris 20e

Exposition interrompue

 

Exposition prévue au Salon de Montrouge 2021 du 24 avril au 18 mai 2021.

3 Place Jean-Grandel, Gennevilliers