Garance Matton, résidente à Poush Manifesto

 

Lors des Portes Ouvertes de Poush, il m’a été donné l’occasion de découvrir l’univers de Garance Matton (Beaux-Arts de Paris). Nous sommes ici dans la peinture, la vraie ! Entre Matisse, Fra Angelico, De Chirico… les influences sont multiples et jamais fortuites. Un plaisir des yeux et des sens, réjouissant en cette période.

 

Comment avez-vous eu l’opportunité de cet atelier chez Poush Manifesto ?

J’ai répondu à l’appel à projet lancé à la fin du printemps. Nous sommes deux dans cet atelier que je partage avec Guillaume Valenti également diplômé des Beaux-Arts de Paris quelques années avant moi. C’est une chance que nous soyons autant d’artistes ici, les professionnels, les collectionneurs et amateurs aimant regrouper leurs visites.

Quel a été votre parcours aux Beaux-Arts ?

A mon arrivée, j’ai intégré l’atelier de Michel François et j’avais un travail d’installation, de photo et de dessin. J’ai décidé en 2ème année de rejoindre l’atelier de François Boisrond afin de me consacrer à la peinture. Au lycée j’avais progressivement abandonné le dessin qui n’était pas forcément mis en valeur, puis lors de ma prépa j’ai réalisé que j’étais plus efficace en réalisant des installations. Au début de mes études aux Beaux-Arts, j’ai commencé à comprendre que ce qui m’intéressait vraiment c’était la peinture, à savoir, créer des images. J’avais conscience que cela me demanderait un certain temps avant d’aboutir à quelque chose qui me satisfasse vraiment.

A quand remonte votre premier contact avec la peinture ?

Je viens d’une famille assez connectée à l’art : mon père est graveur et ma mère a suivi des études de cinéma. Dans mon enfance j’étais entourée de toutes sortes d’images, elles exerçaient sur moi une grande fascination que ce soient les peintures et les affiches accrochées aux murs ou les couvertures de livres et de CD… Ensuite, aux Beaux-Arts, la plupart des gens avec qui je me suis liée d’amitié, travaillaient dans des ateliers de peinture, ils étaient en permanence en train de dessiner. Nous sommes partis en vacances à la fin de la première année et avons vu l’exposition de David Hockney à Bilbao, ça a été un véritable déclic! Sa manière de réinventer un sujet aussi bucolique que le paysage de la campagne anglaise m’a fait comprendre que peindre aujourd’hui avait toujours autant de sens.

« Le jardin aux sentiers qui bifurquent »

On trouve dans cette toile un intérêt pour les primitifs avec notamment toutes ces plantes dont plusieurs sont empruntées à Fra Angelico. Le dallage aussi évoque une perspective italienne, même si celle-ci fonctionne plus comme une perspective chinoise en réalité avec des lignes parallèles sans point de fuite. Ce qui m’intéresse généralement quand je construis une peinture c’est de créer une sorte de dialogue entre différents éléments, des personnes que je rencontre ou des objets. Ce que l’on voit ici sont les sculptures d’une amie artiste qui s’appelle Leticia Martinez Perez que j’ai rencontrée à Madrid. J’avais envie de les mettre en scène dans cet espace imaginaire quasi infini. D’autres éléments renvoient à mon quotidien: une piscine, un chat, un jardin. Cela m’intéresse de réunir à la fois les époques, les sujets et aussi les manières de peindre. La piscine par exemple est traitée à la bombe, ce gros dallage épais est réalisé avec de l’empâtement très mat et l’herbe est ajoutée avec des notes plus en transparence. Ce jeu de construction et de réinvention possible à chaque fois me stimule et m’amuse. Ne jamais rester dans un geste automatique mais toujours dans une exploration de possibles. Giorgio de Chirico est un peintre qui m’intéresse également beaucoup par le caractère méditatif de certaines de ses peintures.

Toile en préparation pour l’exposition chez Tajan

Cette toile est inachevée. Le point de départ est une petite desserte roulante qui me sert à poser mes tubes. Je trouvais sa forme intéressante à peindre et j’ai décidé de la combiner avec un petit dessin que j’avais réalisé. L’ensemble résulte de la réunion de ces deux pièces, suggérant l’atelier du peintre. Je prépare une exposition qui aura lieu chez Tajan à l’initiative de Rodica Seward, la directrice passionnée de peinture. Elle s’intitulera The Studio en duo show avec Pierre Bellot, mon copain qui a également étudié aux Beaux-Arts. J’avais déjà participé à une exposition en octobre et elle a trouvé judicieux de nous réunir: ce sera notre première exposition en duo.

Autoportrait à l’échiquier (titre non définitif)

Cette toile aussi, est en gestation avec ce fond vert qui ne me satisfait pas encore. J’aime l’idée générale de la composition mais certaines choses, dans les couleurs notamment, peuvent être améliorées. Je me suis mise en scène dans une position méditative devant un échiquier sur lequel il n’y a pas de pièces. Je joue beaucoup aux échecs sur mon téléphone à l’atelier. Aussi cette peinture évoque pour moi un moment de réflexion à l’atelier, d’autant que cet échiquier vide peut aussi être associé à l’idée du tableau lui-même.

Soleil, Vent, Diego

Je suis partie de cette structure, cette forme de tente que j’avais déjà peinte une première fois et qu’il m’intéressait de reprendre. Petit à petit j’ai cherché ce que je pouvais intégrer autour, un chat, une pie, des animaux déjà convoqués, le dallage et la sculpture de Arp au fond. Diego est le chat au premier plan. C’est une peinture qui traduit la fin d’un été avec les souvenirs de mon année en Espagne. J’aime que les éléments voyagent dans plusieurs peintures sans que cela devienne sériel.

L’Espagne

J’ai accompagné Pierre lors de sa résidence en Espagne pendant un an, nous étions dans un grand jardin, avec une piscine, des chats, des pies. Et le soleil m’a beaucoup inspiré. Pouvoir avoir toujours cette lumière très forte m’a permis de travailler des ombres très marquées. C’est ce qui ressort ici avec la chaleur qui vient un peu tout dénuder et l’architecture mudéjar en toile de fond. Ce passage en Espagne m’a fait beaucoup de bien, il m’a permis de découvrir d’autres espaces et architectures, alors que je me référais principalement à l’Italie et à sa peinture.

Fragment et morceau d’image

L’image source de ces peintures est une photo prise par mon amie déjà citée Leticia Martinez Perez lors d’une mise en scène en prévision d’une performance. La performeuse porte un morceau d’une de ses sculptures en céramique et un pompon sur l’œil qui renvoie au folklore espagnol.

Cette autre toile est une sorte de prolongement du Jardin aux sentiers qui bifurquent, avec ces végétaux que j’avais beaucoup aimé et peindre. J’ai eu envie de prolonger l’expérience et d’en ajouter d’autres pas uniquement inspirés de Fra Angelico. Cette fois, certaines plantes proviennent de mon environnement. Je voulais suggérer un contraste entre la minutie des détails et derrière les traces de matière, de pinceaux, les coulures. J’ai envie de créer ce jeu entre la préciosité et un côté plus brut. Réunir des manières assez contraires de peindre.

Quel bilan faites-vous de vos années aux Beaux-Arts ?

Je ne pensais pas intégrer les Beaux-Arts lors de ma prépa. Je comptais me diriger vers la mode. Je n’avais pas d’attentes particulières. Ce sont surtout les rencontres qui ont été positives, amicales, artistiques. En termes d’enseignement c’était comme une sorte de friche très expérimentale où nous étions assez libres et livrés à nous-mêmes.