Gabriel Moraes Aquino : Prix ARTAÏS Jeune Création

Par Maya Sachweh12 novembre 2021In Articles, 2021, Revue #27

 

Lors de l’édition 2021 de Jeune Création, Artaïs a décerné pour la première fois un prix (un article dans la revue et une visite d’atelier pour collectionneurs et professionnels de l’art), dans la continuité de son soutien constant des artistes émergents. Notre jury, composé de trois membres d’Artaïs (Sylvie Fontaine, Marie Gayet et Maya Sachweh) a choisi à l’unanimité Gabriel Moraes Aquino, né en 1994 à Rio de Janeiro et diplômé de l’ENSBA Paris, pour la lecture à plusieurs niveaux et l’inventivité de son installation multidisciplinaire.

 

Après une double formation en communication visuelle et arts plastiques au Brésil, Gabriel a décidé en 2017 de venir en France, non pas dans un but précis, mais suite à un concours de circonstances et de rencontres. Un peu au hasard, il a tenté l’admission aux Beaux-Arts de Paris, avec succès. Il a intégré trois ateliers qui l’ont profondément marqué de par leur diversité d’approche et d’interaction avec le monde, ceux de Nathalie Talec, Emmanuelle Huynh et Abraham Cruzvillegas. Ce dernier a fini par devenir un bon ami et un exemple en tant qu’être humain et artiste auquel il se réfère volontiers, notamment pour sa définition d’un art « convivial », un élément essentiel de son travail.

 

L’installation Fortune Coconuts, présentée à l’exposition Jeune Création à la Fondation FIMINCO, est un condensé de sa pratique qui associe la photographie, la vidéo, les objets faits main, l’écriture, la performance et surtout la rencontre et l’échange avec le public. On y retrouve la référence à ses racines, son goût pour les voyages et découvertes d’autres cultures, comme la Chine, mais aussi la France qui était pour lui « terra incognita » et source d’étonnements.

 

Tout est parti du constat de l’incongruité de la présence de palmiers en France, plantés dans des endroits inattendus, parfois même énigmatiques, devenant ainsi symboles d’exotisme, du désir d’ailleurs, du paradis. Gabriel Moraes Aquino a parcouru la France en train, à vélo et à pied pour traquer ces arbres (environ 60 à ce jour) dans des environnements improbables, mais correspondant bien aux clichés européens d’univers exotiques, et les photographier avec sa caméra argentique. Il a choisi de les imprimer en négatif sur de grandes plaques de plexiglass enchâssées dans des portants métalliques qui donnent à voir l’envers du décor : les projecteurs et « les ficelles » de l’artiste, créant ainsi une double transparence qui souligne leur caractère fantasmagorique.

Une des vidéos insérée s dans le dispositif retrace ses pérégrinations à la recherche de ces palmiers « perdus ». Une voix off féminine énonce des questions qui nous renvoient directement à l’autre partie de l’installation.

 

Tous les palmiers ne sont pas des cocotiers qui poussent essentiellement dans les pays tropicaux et produisent les noix de coco, fruits exotiques par excellence. Pour nous Européens, la noix de coco est surtout associée à la chair blanche et laiteuse à l’intérieur de sa coque. C’est à cet imaginaire que l’artiste s’est référé en confectionnant des simulacres de ces fruits. Pendant trois mois de confinement en déconfinement, il a cousu une centaine de « noix » en coton brut auxquelles il a attaché une feuille découpée dans du papier de riz. Sur chacune, il a inscrit à la main une question, tantôt liée directement à la thématique du palmier, tantôt à des questionnements plus généraux tels le sens de la vie, l’intimité, le futur, …

 

Le titre Fortune Coconuts évoque évidemment les « fortune cookies » bien connus dans les restaurants chinois. Contrairement à l’idée reçue, ceux-ci ne sont pas de tradition chinoise, mais un produit purement américain, né du métissage entre culture occidentale et orientale.

Ils sont en quelque sorte un détournement populaire et commercial d’une véritable tradition chinoise, le Yi Jing, livre ancestral de pratiques divinatoires. Pendant toute la durée de l’exposition, l’artiste a invité les visiteurs à prendre les noix de coco dans la main et à jouer avec lui à répondre aux questions en appliquant les règles du Yi-Jing dont les propositions sont plus de caractère métaphysique que personnel. L’installation est ainsi devenue un lieu de communion et de rêves partagés, de conversations et de discussions.

 

L’aspect participatif et convivial est primordial dans le travail de Gabriel. Il ne concerne pas seulement le public, mais plus encore les personnes impliquées dans le processus de création. Comme dans son projet d’actions-performances au long cours Friendly Haircut, entamé en 2018 en France et poursuivi en Chine et au Portugal. Dans son enfance, son père l’amenait périodiquement chez le même coiffeur de quartier pour se faire raser les cheveux « dans les règles ». Ce rituel, qu’il n’avait jamais remis en question alors, a pourtant laissé des traces : peut-être une forme d’angoisse (en psychanalyse, couper ou raser les cheveux est symbole de castration) qu’il essaie d’exacerber en offrant à d’autres des coupes de cheveux « amicales » et gratuites. Le principe est d’établir une histoire entre deux personnes à travers un échange intime. Pendant que l’artiste coupe les cheveux, la personne réalise une action concomitante comme fumer des cigarettes, regarder un match de foot, chanter une chanson, lire un livre… La symbiose entre les deux personnes est traduite dans la photographie finale avec l’artiste posant ses mains sur les épaules de son « cobaye » consentant.

 

Depuis septembre 2021, Gabriel Moraes Aquino a intégré la résidence de la Fondation FIMINCO à Romainville. Nul doute qu’il profitera de cette année pour poursuivre des projets participatifs avec la population locale et le public.