Gabriel Moraes Aquino & Joana Zimmermann
Entre deux cagettes, à l’abri des palettes et paravents, caméra et photographe attendent patiemment. Une mise en scène convie les visteurs.visiteuses à pénétrer, à poser, dans un studio éphémère que Gabriel Moraes Aquino et Joana Zimmermann ont conjointement assemblé. Œuvres précédentes recyclées, matériaux humbles chinés, leurs deux univers convergent pour la première fois pour former un espace scénographié ouvert ; un « safe space » insistant sur la relationnalité de l’acte de photographier. Face à face avec l’objectif, la vulnérabilité d’une identité lui est confiée. Les deux artistes assument le studio photo, jouent avec l’âme du lieu dans lequel leur installation à quatre mains s’insère. Participative, elle vise à provoquer des rencontres improbables entre les communautés dans lesquelles les deux complices sont respectivement engagé.e.s, des danseurs de streetdance aux habitants de bidonvilles parisiens. Tous.tes sont invité.e.s à partager leur image et à ainsi collectivement constituer un archivage de portraits. Si les lieux conservent pour eux la mémoire de ces moments, les polaroïds accumulés – puis exposés – ont pour rôle celui de reliques, témoignant de ces entrecroisements de mondes différents.
Gabriel Moraes Aquino
Né en 1994 à Rio de Janeiro, diplômé de l’ENSBA Paris en 2020, lauréat du Prix ARTAÏS en 2021. Il vit à Paris et travaille à la résidence d’artistes ARTAGON Pantin.
La plasticité photographique se retrouve souvent dans la pratique de Gabriel Moraes Aquino, comme dans l’installation de tirages de palmiers européens Negative Palms (2021-2022), où il porte un regard sur le tropicalisme et la mobilité. Les actions simples de l’artiste – échange de mots et de noix de coco dans FortuneCoconuts (2021) ou d’une Friendly haircut (2018) – contrebalancent sensiblement les questions d’éloignement géographique et de déplacement culturel tout en aménageant, physiquement et conceptuellement, des espaces de convivialité. Transparaît déjà alors son attachement à l’échelle du « local », et aux relations qui s’y développent, travaillant régulièrement in situ. Moult déplacements ponctuent le parcours de l’artiste, néanmoins installé en France depuis 2017. A sa sortie des Beaux-Arts de Paris en 2020, c’est une itinérance de résidences entre la Cité des Arts et la Fondation Fiminco qui le mène jusqu’à « se sentir Romainvillois ». La communauté qu’il y intègre donne naissance au plus récent projet d’une collaboration avec le milieu de la performance qu’il affectionne.
Battle Piece (2022) s’articule autour d’une communauté de danseurs.danseuses et d’une collaboration avec Nicolas Faubert. Orchestration de duels de hip hop et styles variés, ces face-à-face décloisonnent en rythme des groupes établis, cristallisent le temps autour de corps en mouvement. Pour l’artiste, la gestuelle devient dialogue et la danse « une langue qu’on parle tous. » De ces évènements naîtra une série de films, dont le premier chapitre présente la danse comme acte de survie, dessine un paysage de la relation, où l’absence de sous-titres suffit – comme dans le quotidien de nos vies – et nous interroge sur ce que signifie coexister. La conception partagée de ce projet – comme celui avec Joana Zimmermann – syncrétise les attaches de l’artiste au travail collectif, traçable depuis le commencement de sa pratique plastique en tant que membre du collectif Gregário à Rio de Janeiro.
Joana Zimmermann
Née en 1983 à Porto Alegre, diplômée de l’ENSBA Paris en 2010. Elle vit et travaille entre Paris et Aubervilliers.
Entre un engagement de longue date auprès des communautés Montreuilloises et un réseau de vie autour de son atelier à Aubervilliers, ces dynamiques translocales nourrissent la pratique plastique, autant que sociale, de Joana Zimmermann. Depuis son implantation à Paris, l’artiste s’est intégrée à son univers associatif culturel en co-fondant ABRASSO avec Victoria Zorraquin en 2014. Ce projet collectif, où outils pédagogiques et actions artistiques vont de pair pour promouvoir un dialogue interculturel, vit le jour au détour d’un bidonville au bord de la Nationale 7 en banlieue parisienne. Un bénévolat autour d’un aménagement plus hospitalier de cet habitat s’accompagne progressivement d’une immersion dans la culture Rom, et d’une volonté pour les deux partenaires « de créer ce qu’une expulsion ne pourrait détruire » : un souvenir. Une première passerelle dorée, couleur de la festivité, s’y installe temporairement, cherchant à révéler un lieu plus habitable, plus accueillant. C’est le point de départ du travail bien identifiable de Zimmermann : des palettes de bois recouvertes de couvertures de survie.
L’artiste taille le bois sur mesure, conçoit ses installations in situ. Un bidonville boueux à Montreuil, l’escalier d’une galerie à Saint Tropez. Ces podiums précaires s’adaptent à leurs territoires, deviennent architectures éphémères. Utilitaires – même dans le cadre institutionnel – ces œuvres n’existent que si l’on marche dessus. Zimmermann questionne ainsi l’emploi des matériaux de construction. Si au Brésil les abris en carton qu’elle bâtissait s’imprégnaient de la précarité des habitations dans les favelas avoisinantes, le béton et les techniques de coffrage s’introduisent désormais dans son travail. La dualité entre l’éphémère et le pérenne se révèle aussi dans la circularité des usages de ses œuvres.