Florian Mermin – Étranges métamorphoses
Florian Mermin – Étranges métamorphoses
Nous vivons dans un monde où les choses vont de plus en plus vite, où la course du temps qui les entraîne s’accélère. Du même coup, les formes toujours nouvelles générées par le flot de l’actualité sont vouées à l’éphémère, à devenir rapidement des carapaces exsangues, abandonnées à une méditation artistique aussitôt dépassée qu’initiée. Curieusement, les formes des objets créés par Florian Mermin gardent une inaltérable actualité qui leur vient de la temporalité inhabituelle qui les anime : celle d’un temps réversible.
C’est le cas de cette araignée géante qui ouvre le parcours imaginé par Lauranne Germond dans l’exposition dont elle est la commissaire, Le Chant des forêts, au MAIF Social Club. Cette pièce, conçue en 2021, est le fruit du recyclage de quelques-uns des millions de sapins coupés en France à Noël, acte par lequel il tente de conjurer leur triste sort : de finir en miettes dans des panneaux de bois aggloméré. En donnant à ces végétaux morts la forme, mille fois augmentée, d’un animal qui nous effraye dès l’enfance, même sous sa taille réelle, l’artiste réveille fortement en nous ce mystérieux sentiment qui nous porte à prêter vie aux objet inanimés les plus familiers. La psychanalyse freudienne le nomme « inquiétante étrangeté » (Das Unheimliche). Selon Freud, une telle métamorphose est due à la résurgence d’une angoisse éprouvée au moment de notre naissance, devant la vision d’un être vivant informe, présent partout autour de nous, qui nous étreint. Un être terrifiant dont nous rejetons l’évidence dans l’inconscient mais qui s’incarne parfois dans des objets inanimés, comme cette araignée en bois, parce qu’elle est le symbole d’un être universellement rejeté. En se prêtant un mutuel appui, le sapin et l’araignée s’absorbent dans cet instant primordial où tout est vivant, où la mort n’existe pas, un moment auquel on accède par une plongée dans un autre temps : un temps réversible.
Ces unions salutaires entre êtres disparates, véritables mariages de la carpe et du lapin, ont aussi fait l’objet de la dernière exposition personnelle de l’artiste, Le Baiser de l’araignée, en 2022, organisée par Morgane Prigent à l’Espace d’art contemporain Camille Lambert à Juvisy-sur-Orge, où il célébrait l’alliance d’une rose et d’une araignée. Autrice-invitée, Clara Muller avait écrit une fable à cette occasion résumant la réalité de cette union. La rose « baisse ses herses d’épines », pour accueillir dans sa corolle l’araignée dont les pattes, ajoutées à ses épines, dissuaderont les cueilleurs les plus téméraires. Pas en reste, la rose, par la beauté attendrissante de sa corolle, protège l’araignée contre tous ceux qui veulent l’écraser, pour chasser l’angoisse qu’elle leur inspire.
La scène initiale était celle de leur rencontre. Sur le sol, les moments successifs de la mort d’une rose, progressivement consumée par la flamme de la vie, de plus en plus réduite à ses noirs composants carboniques. Au plafond, des toiles d’araignée métalliques, aux mailles solides, témoignant de la présence d’une araignée bien vivante. Dans la salle suivante, la scène – la plus élaborée de l’exposition – du baiser nuptial de l’araignée. Elle était illustrée par la performance immersive de deux chanteuses lyriques, Amelia Feuer et Ania Wozniak, entonnant le Duo des fleurs de l’opéra de Léo Delibes, Lakmé. Allongées par terre, dans une posture dormitive, elles lançaient leur chant d’amour vers le haut, à travers des vases à fleurs sans fond, préalablement sculptés de leurs mains. Sortie de ces vases porte-voix, comme un soupçon de roses frêles, la mélodie du duo envoûtait l’araignée, laquelle leur envoyait une pluie vivifiante de baisers, semblables à des pétales de roses. Pétales recueilles par Florian Mermin sur deux toiles : portraits fusionnels de deux roses ressuscitées par les baisers empourprants d’une araignée.
Notons que l’esthétique de l’artiste se ressource dans ces périodes historiques dont Hegel disait qu’elles sont les « pages blanches de l’histoire ». Des périodes de bonheur, où la croyance au progrès s’infléchit en nostalgie du passé : comme au temps du romantisme, avec ses « revivals », ou du post-romantisme, avec le préraphaélisme et le symbolisme, ou encore du maniérisme, avec, en particulier, Le Songe de Poliphile de Francesco Colonna. Ce roman onirique avait inspiré une somptueuse installation de l’artiste au Pavillon des Indes à Courbevoie en 2019, Florian Mermin vous invite au jardin. L’exposition volait sur les ailes du récit de Poliphile, traversant en songe des jardins merveilleux, jonchés d’antiques ruines, lieux où le temps s’arrête, où la déambulation est encapsulée dans un espace au sein duquel passé et présent coïncident. Florian Mermin serait-il l’annonciateur d’une prochaine période de bonheur ?
Infos pratiques :
Le Chant des Forêts
Jusqu’au 22 juillet
MAIF Social Club
37 rue de Turenne, Paris 3e