ESMERALDA DA COSTA – Apokálupsis

Par Sacha Guedj Cohen15 novembre 2021In Articles, 2021, Revue #27

 

Du fond des âges nous parvient une rumeur terrible. Une de celles auxquelles on ne croit guère, mais sait-on jamais… En substance, elle nous annonce la fin des temps, le Jugement dernier, la catastrophe finale. À l’origine de ce récit, l’Apocalypse, dernier livre de la Bible, apport tardif au Nouveau Testament attribué à Saint Jean. Suite à une résidence au Repaire Urbain d’Angers, Esmeralda Da Costa propose une interprétation contemporaine de la Tenture de l’Apocalypse, mise en image tapissée du récit de la fin du XIVe siècle, joyau du Château d’Angers.

 

En grec ancien, « apokálupsis » signifie dévoilement. Tel un lever de rideaux sur les malheurs de ce monde ou la révélation optimiste de leur résolution ?

En octobre 2021, nous reprenons notre souffle après une longue période d’isolement nourrie de craintes Post-Covid, au-devant du “monde d’après” ? Étonnamment s’est fait sentir au cours des derniers mois une apathie générale, une paralysie du bonheur jusque dans ses échos. Un arrêt sur image. Lorsque le voile se lève, s’opère un retour vers l’autre qui se veut pourtant inquiet ou au moins timide. Comment réussir à réactiver nos liens gelés ? Accueillir à nouveau la proximité, se mettre en mouvement, aller à la rencontre. Esmeralda Da Costa aappréhendé sa résidence de création avec cet élan.

 

Depuis ses débuts, sans se détourner de l’autre, l’artiste interroge le monde à travers le corps individuel. Son propre corps, elle l’a mis en scène, lui conférant le rôle d’intercesseur, vecteur d’une histoire, d’un récit transgénérationnel, réceptacle et transmetteur d’un héritage lointain qu’elle approche, transforme et transpose dans ses œuvres.

 

Situons-nous dans le présent. Esmeralda Da Costa arrive à Angers en juin 2021, en tant qu’hôte, empreinte de la double signification de ce terme. Lauréate de la première édition de la résidence arts visuels au RU, elle y est accueillie chaleureusement. Instinctivement, pour contrer un souvenir de vie trop confinée, elle offre en échange une généreuse ouverture à son projet. Apokálupsis naît de ce mouvement alternatif.

Dans une démarche participative et collective, elle a pensé de réels tableaux vivants, mettant en scène Angevines et Angevins, de tous corps de métiers, rencontrés dans les rues de la ville. Avec l’artiste, s’est ouvert à elles/eux un champ particulier : celui de son appareil photo et celui de sa recherche afin de relier le récit et les images du XIVe siècle à notre époque et notre vécu.

 

Elle a recréé certaines scènes de la tenture de l’Apocalypse pour en faire des allégories de notre société et de ses enjeux : le drame écologique, la résistante domination du « mâl.e », les attentats, la pandémie. Non sans un trait d’humour, une mise à distance s’est opérée grâce à la caméra, dans l’accentuation d’un décor scénique précis et symbolique, imaginé et produit dans sa globalité par l’artiste. La couleur revient à grand pas, pleine de vie, etlaisse même penser qu’en miroir, la tenture conservée dans une galerie sombre du Château d’Angers et ternie depuis son origine en 1380, retrouve aussi de l’éclat.

 

Ces tableaux vivants sont des créations hybrides, entre peinture et théâtre. Les images de l’artiste s’inspirent d’une narration fictive, pourtant elles reflètent la réalité car tous les éléments présents sont authentiques. Les images trouvent leur force dans une pantomime qui résume à elle seule l’intrigue l’ayant inspirée et immortaliséepar l’instant photographique.

 

Pour ce projet, fidèle à sa pratique, Esmeralda Da Costa a dirigé et fixé les corps dans l’image. Son expositions’est construite autour de grandes scènes photographiques et installations. Le montage s’impose de manière évidente en regard de la tenture de l’Apocalypse : une histoire morcelée en 140 panneaux, dont certains auraient été perdus, parts de récit oubliées. L’artiste se détourne de la trame narrative originelle et écrit une histoirenouvelle, non pas à lire mais pour y déambuler. La composition des fragments choisis donne lieu à un montage quasi cinématographique, le regard et ses déplacements servent la relation à l’œuvre. La sculpture et le son viennent compléter la proposition et offrent d’autres perspectives de parcours.  De cette façon, Apokálupsis devient « hôte », une invitation à la rencontre.

 

Avec cette exposition, Esmeralda Da Costa dessine les pistes d’une véritable poétique du lien. Elle interroge les corps, leur apparence et leur communication non verbale dans un monde qui réfléchit ensemble, à l’après et l’ailleurs.

 


 

Apokálupsis

Jusqu’au 31 décembre 2021

RU Repaire Urbain

35 boulevard du Roi René, Angers