Entretien avec Sandrine Wymann, directrice de La Kunsthalle Mulhouse

 

 

La Kunsthalle, Centre d’Art Contemporain d’Intérêt National de Mulhouse, est intrinsèquement liée au passé industriel de la ville : l’ancienne « Fonderie » de la Société Alsacienne de Construction Mécanique, reconvertie en plusieurs entités. En plus des expositions temporaires annuelles. La Kunsthalle soutient la création artistique à travers des résidences et des partenariats « hors les murs » sur toute la région en résonance avec d’autres structures voisines. Après l’exposition Boazde Romain Kronenberg, La Kunsthalle accueille l’artiste belge Maarten Vanden Eynde.

Pourquoi avoir décidé d’inviter l’artiste Romain Kronenberg ?

Pour plusieurs raisons. D’une part la question des écritures, un sujet qui m’intéresse particulièrement. Une thématique très vaste que j’ai abordée à travers plusieurs projets d’exposition, notamment autour de l’écriture sonore. J’avais travaillé ce domaine avec Anne-Laure Chamboissier car j’invite aussi régulièrement des commissaires à qui je donne carte blanche. J’avais l’intuition que l’écriture sonore avait beaucoup à nous dire tant dans les formes que dans la conception de l’écriture. C’est Anne-Laure qui m’a présenté le travail de Romain.

Qu’est-ce qui vous séduit dans sa démarche ?

Ce que j’aime dans sa démarche est la place que prend la fiction dans un projet d’exposition, également le livre, l’histoire. Au-delà de la lecture que j’apprécie, se posent les questions de comment aborder l’écriture, le récit rédigé, comment on en parle et comment on passe du livre à l’exposition. Indirectement Romain nous suggère un format et une réflexion autour de la problématique de mise en espace du récit du livre.

Les étapes du projet

J’ai commencé par lire son premier écrit Tout est vrai, alors qu’il était en train de penser à l’écriture de Boaz. J’aime la forme de son écriture. On réalise que Romain vient du son, de la musique. Cela s’entend quand il lit ses textes. Il y a du rythme et quelque chose de l’ordre d’une partition sonore. Il explique qu’il s’écoute lire ses phrases et il les reprend au besoin. Ce que je trouve pertinent également est sa méthodologie qui part du récit écrit pour venir creuser d’autres pans de l’histoire qui s’écrivent différemment par l’image, la photographie, le son. Une écriture qui se trouve élargie et explorée de plusieurs façons.

En quoi la prochaine invitation à l’artiste belge Maarten Vanden Eynde rejoint-elle vos objectifs et engagements ?

Cette transition me permet de présenter les deux axes de réflexion qui m’animent et que j’essaie d’équilibrer d’une exposition à l’autre. D’une part autour de cette question de l’écriture et d’autre part autour d’artistes qui traitent des sujets de notre époque, des artistes politiquement engagés. Une prise de risque assumée autour de mots et de formes qui traduisent notre époque même si on n’en connait la pertinence qu’avec le temps. Ce positionnement m’interpelle.

Conception et enjeux de l’exposition

Nous sommes partis du catalogue trilingue aux éditions Mercator dont nous avons permis la version française, sous la direction scientifique de Katerina Gregos. Elle m’a fait découvrir, il y a quelques années, le travail de Maarten que j’ai invité une première fois en 2018 dans une exposition collective, Mon Nord est Ton Sud. Maarten et Katarina m’ont contactée de nouveau il y a 2 ans pour me proposer d’accueillir le second volet de l’exposition Exhumer le futur après le Mu.ZEE d’Ostende. Une première en France pour l’artiste alors qu’il poursuit une belle carrière en Belgique. De plus,  je trouve son travail formellement très fort et nourri par une vraie curiosité et recherche aux côtés d’experts. Il est  à l’écoute des autres. Il s’intéresse à  la relation de la Belgique au Congo et de ce qu’elle induit aujourd’hui encore au niveau économique dans l’exploitation des ressources.

Dès l’entrée de La Kunsthalle, une œuvre spectaculaire attirera l’attention des visiteurs, pouvez-vous nous en dévoiler les contours ?

Quand nous avons fait le choix des œuvres avec Maarten, il a souhaité recréer en 3D la pièce intitulée Fat Man, nom de code d’une des bombes atomiques larguée sur Nagasaki, transposée en dentelle au fuseau. On retrouve là son intérêt pour les ressources énergétiques et leurs exploitations, le nucléaire étant l’un de ses champs d’exploration. D’autre part il établit un parallèle entre l’uranium et le coton qui viennent tous deux du Congo et sont exploités dans une même logique d’approvisionnement de l’industrie. Cela faisait particulièrement sens ici, Mulhouse étant la ville de l’entreprise DMC, du coton qui est venu en masse et est toujours exploité par une unité de production dans l’agglomération. L’œuvre, constituée de  fils de DMC, sera installée dans le hall de façon magistrale et introductive à l’exposition.

Le programme des résidences : quelle fréquence et avec quelle visée ?

Nous leur proposons différents projets, certains sont récurrents et annuels comme l’Atelier Mondial, un programme piloté par la Fondation Merian de Bâle en partenariat avec le musée du textile d’Oaxaca au Mexique qui chaque année propose une sélection d’artistes parmi lesquels nous choisissons celui qui sera accueilli à Mulhouse pour 4 mois suivis de 2 mois à Bâle. Il vient découvrir le territoire, l’histoire du textile, les ressources régionales. L’on remarque que ces artistes mexicains sont souvent très motivés pour transmettre leur savoir-faire et animer des ateliers. Actuellement nous accueillons la plasticienne Ivette Olmedo. Nous disposons d’un atelier permanent à Motoco (friche sur le site DMC) de 50 m² que je peux doubler si besoin. Nous participons à beaucoup d’autres programmes et réseaux, notamment en partenariat avec l’Institut Goethe du Grand Est qui permet des échanges entre des artistes basés à Berlin et des artistes du territoire du Grand Est pour partir en Allemagne.

Je me rends compte que peu à peu je m’éloigne des programmes qui enferment les résidences dans des formats de durée et de typologie définies pour aller vers des projets plus spontanés qui s’inscrivent sur le long terme pour permettre de dérouler les échanges et les rencontres de manière plus approfondie … Depuis 5 ans, j’ai mis en place un principe d’artiste associé autour de projets de 2 ou 3 ans minimum, comme en ce moment avec Elise Alloin, diplômée de la Haute école des arts du Rhin en 2013, qui travaille sur la transformation du territoire régional suite à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Elle travaille sur la question de la radioactivité, «  une matière invisible » qu’elle tend à rendre plus palpable. Elle collabore avec de  nombreux scientifiques et chercheurs, notamment  des géographes du CRESAT (Centre de Recherche sur les Economies, les Sociétés, les Arts et les Techniques) de l’Université de Haute-Alsace.  Elle est chercheure associée à ce département et artiste associée au centre d’art.

 


INFOS :

 

Maarten Vanden Eynde du 10 juin au 31 octobre 2022

 

La Kunsthalle Mulhouse

Centre d’art contemporain, La Fonderie

16 rue de la Fonderie, Mulhouse