Entretien avec Nelson Pernisco, cofondateur de l’artist-run space Le Wonder

 

« Nous avons pu valider que les moyens d’auto-gestion du Wonder permettaient de résister à ce genre d’épreuves »

Alors que la vente en ligne solidaire du Wonder/Zénith a été un succès totalisant 10 000€ pour la vente de 21 œuvres, Nelson Pernisco, revient sur l’impact d’un tel contexte sur l’économie du collectif, les modèles de solidarité qui les ont inspirés et portés, son vécu d’artiste pendant le confinement et la force de l’engagement du Wonder face à l’alerte générale ressentie.

Le Wonder a lancé une vente de soutien en réponse à ce contexte de crise : genèse et enjeux 

Cette vente de soutien est venue en effet compléter un certain nombre d’opérations mises en place pour soutenir nos résidents qui n’ont pas pu accéder à leur atelier pendant ces deux mois de confinement.

Rappel du contexte : Nous avions conscience que la situation sanitaire ajoutait à la précarité des artistes aussi nous avons contacté une dizaine de lieux de production auto-gérés d’Ile de France, qui nous semblaient en résonnance avec notre démarche tels que le Doc, le Houloc, le W … en leur proposant de décrire leurs difficultés financières avec l’objectif de solliciter la DRAC avec qui nous sommes en lien depuis un an, et qui a répondu positivement. Cela a généré une nouvelle aide pour les artist-run space. Cette aide a été élargie ensuite aux collectifs de commissaires ou critiques d’art indépendants. Ce résultat positif marque encore plus une nouvelle ère dans cette façon d’occuper des territoires ou de désigner ce que l’on appelle le « tiers lieu », terme générique, dans lequel on ne se reconnait pas forcément ni dans le terme squatt ou autres appellations. Nous avons aussi reçu une aide de la Fondation Antoine de Galbert. Certains collectionneurs nous ont également encouragés dans cette démarche qui avait déjà fait ses preuves.

Objectifs : Cette vente solidaire a permis aux artistes de payer le reste des loyers que l’on n’arrivera pas à rembourser, sachant que les loyers du Wonder sont bas (150 €/mois) et de leur donner accès à une vente à un moment où leurs expositions sont annulées. Cela a été aussi, et je ne le cache pas, pour nous l’occasion de tester un modèle de vente via notre association et positionner le Wonder comme un regroupement d’artistes, une labellisation sans visée économique, n’étant pas une galerie mais un relais.

Format : Tous les artistes du Wonder pouvaient participer ainsi que des intervenants extérieurs ponctuels comme des photographes. Sur 65 artistes, 31 ont proposé entre 1 et 3 œuvres, allant de 200 à 800 €, une fourchette de prix que nous voulions accessible. Cette fourchette devait rassembler à la fois des artistes qui produisent de gros volumes avec des prix élevés et d’autres qui sont plus proches du dessin et de l’édition, sans que personne ne se sente sur ou sous-évalué. Face à ce défi, tout le monde a cherché à faire un effort pour entrer dans ces cases.

 

Comment avez-vous vécu ce déconfinement ? 

Les résidents ont pu revenir, ce qui nous avait manqué. Toutes les échéances d’organisation administrative ont repris et j’ai été assez mobilisé par la mise en place du catalogue de la vente.

Nous préparons un dernier évènement le 11 juin sous la forme d’un grand opéra comme précédemment qui réunira toutes nos expériences et nos œuvres réalisées lors de cette période d’un an au Zénith.

Ce déconfinement est un signal positif pour notre prochaine relocalisation que nous avons pu préparer et anticiper, connaissant le lieu suffisamment à l’avance. C’est une première pour nous mais je ne peux en dire plus tant que ce n’est pas signé.

En ce qui concerne mes projets, mon exposition solo qui devait ouvrir au centre d’art Bastille de Grenoble le 4 avril a été reportée ce qui a été une déception au départ même si elle va pouvoir ouvrir début juin.

Une autre exposition à la Fondation du Doute (Blois) curatée par Elodie Bernard, est repoussée, sans nouvelle date d’ouverture annoncée.

 

Quel bilan faites-vous sur cette période, à titre collectif et personnel ?

Pour chacun d’entre nous, en tant que membres du collectif, pouvoir échanger au quotidien a été très instructif et introspectif. Même si nous sommes une bande de garçons et de filles réunis par des désirs de connaissance, de curiosité et de créativité nous sommes rattrapés par un rapport à la vitesse, un rythme effréné, surtout dans une grande agglomération comme Paris.

Au niveau du Wonder cela nous a permis de réaliser que nos moyens d’auto-gestion permettaient de résister à ce genre d’épreuves, ayant de plus bénéficié d’aides extérieures citées précédemment. En tant qu’artiste on doit faire face à des entrées d’argent assez irrégulières, avec de vraies périodes de traversée du désert qu’il faut savoir gérer économiquement mais aussi d’un point de vue créatif. Il faut se lever le matin pour un métier qui coûte plus d’argent qu’il n’en rapporte ! Le modèle du collectif encore une fois est une belle réponse à ce confinement et à une quête de sens. Nous étions dans un lieu avec la possibilité de travailler, d’échanger avec les autres, produire du contenu radiophonique ou visuel, continuer nos métiers et poursuivre le récit avec les gens du quartier notamment avec le projet initié par Antonin Hako. Il est venu secouer une peinture accrochée à un bâton comme un drapeau tous les soirs devant les tours Nuage nées de la vision de l’architecte Emile Aillaud, l’un des symboles de Nanterre. Ce projet va se poursuivre avec des montgolfières qui vont être peintes afin de produire une sorte d’exposition à la verticale et montrer un défilé de peintures aux fenêtres de gens qui n’ont pas accès à notre espace ni d’ailleurs à des espaces d’exposition. Ce confinement nous a permis de prendre le contrepied pour approfondir la rencontre avec nos voisins, ce qui n’est jamais facile dans des temps d’occupation aussi courts, sachant que nous déménageons début juillet. Sur une période d’un an, cela représentait un véritable challenge d’établir un contact sur le territoire et cela a été une réussite notamment grâce à ce tchat mis en ligne qui a servi de réseau social pour les tours en interne et des personnes qui ne pouvaient ni se parler ni se voir.

A un niveau plus personnel, j’ai ressenti ce confinement comme une sorte de marche ralentie et forcée vers un rythme nouveau qui me dégageait de ce rapport conflictuel à la productivité pour pouvoir me tourner vers ce qui avait du sens. C’était profitable de pouvoir mettre la recherche au centre d’un moment de production, ce qui est en général assez compliqué. En général au-delà de l’expérience puisée dans des voyages, rencontres, lectures, la période de production me prive de ces allers et retours entre la pensée et l’expérimentation, ce qui est dommage.

 

Vous avez participé à « Lonely » SpacedinLost, en quoi ces expériences digitales ont-elles été l’une des leçons de la crise ?

Cette expérience a été très positive. Cela m’a permis de découvrir le travail de plusieurs artistes ou d’en redécouvrir d’autres que j’apprécie comme Pierre Pauze ou Jonathan Pêpe. La conception de l’exposition en un temps très court a été réussie que ce soit au niveau des interviews autour des œuvres et ce format généreux et chaleureux malgré sa digitalisation. Nous avons même tenté un vernissage en ligne ! Il est certain qu’en tant que sculpteur j’aurai du mal à sacrifier l’espace réel pour le virtuel sauf dans une forme plus utopique. Je reste néanmoins tout à fait convaincu par ce genre d’initiative nouvelle pour créer ou exposer quand la vie nous en empêche.

 

Comment imaginez-vous le monde d’après ?

Je pense être pessimiste dans ma réponse.

L’avènement d’un monde nouveau et la destructuration des logiques marchandes dominantes sont des sujets qui habitent nos consciences depuis un moment, même si l’on a déjà constaté à de nombreuses reprises que le capital reprenait le dessus. J’ai peu d’espoir que le simple virus du corona puisse démentir cela aujourd’hui. Les choses ne vont pas changer aussi fortement qu’elles le devraient quand on voit l’effondrement écologique qui nous guette.

Le modèle du collectif permettra sans doute de se projeter de façon plus constructive et durable dans une forme d’utopie validée.


Infos :

Le Wonder/Zénith

167-169 avenue Pablo Picasso, Nanterre

https://lewonder.com/

  • Opéra et portes ouvertes: Le 11 juin de 17 à 22h
  • Vidéo Le Wonder, #paroledartisteconfiné pour ARTAÏS Art contemporain
  • Comme une centaine d’artistes, le Wonder a également répondu à la proposition de l’association ARTAÏS, en réalisant une vidéo relatant l’esprit du collectif dans cette période très particulière. Ce témoignage #paroledartisteconfiné est diffusé sur les réseaux sociaux et sur la chaîne YouTube de l’association.

https://www.youtube.com/watch?v=HsmoCNYyZm4&list=PLyGK0qyWQKh71FYaamiFNV_kwSDkCNgdc&index=45