Entretien avec Nathalie Ergino, directrice de l’IAC Villeurbanne/ Rhône-Alpes

 

« Il faudrait pouvoir passer à la vitesse supérieure en termes de solidarité collective à l’échelle de la société mais aussi dans le monde de l’art à ce moment clé ».

L’IAC de Villeurbanne est un véritable laboratoire prospectif. A l’occasion de la dernière Biennale de Lyon, la station 16 du Laboratoire Espace Cerveau avait proposé en résonance “Métamorphose et contamination, la permanence du changement”. Autant d’enjeux du post-Anthropocène qui animent depuis longtemps la pensée de Nathalie Ergino sur un territoire très soudé et dynamique.

 

Comment vous organisez-vous face à cette crise à l’IAC en termes de programmation, organisation, ressources humaines… ?

Au risque de répéter ce que de nombreux collègues évoquent déjà, l’attention, la priorité a été portée sur notre équipe relativement petite de 20 personnes pour laquelle il était important de prendre les bonnes décisions à la fois en matière de sécurité et de mise en lien, plus que de télétravail à proprement parlé. Des phases d’adaptation ont été nécessaires via notamment une plate-forme collaborative (Wimi) et aujourd’hui le rythme est pris. La question qui se pose actuellement est comment transposer numériquement ce lien créé en interne vers l’extérieur, comment transmettre au mieux nos valeurs et nos savoirs faire.

En termes de programmation, après plusieurs plans, nous avons finalement choisi de prolonger l’exposition Infantia (1894-7231) de Fabien Giraud et Raphaël Siboni jusqu’au 27 septembre. Cette exposition ouverte deux semaines seulement avant le confinement, se devait de pouvoir rencontrer son public. De plus sa dimension bouleversante ne peut que nous interroger et nous éveiller dans le moment que nous traversons.

Puis nous avons convenu avec Apichatpong Weerasethakul de décaler son projet d’exposition monographique à février prochain afin de le préparer dans de meilleures conditions, lui-même étant en attente de décisions pour le Festival de Cannes.

Ce qui nous conduit actuellement à poursuivre la préparation du projet collectif mené avec l’équipe IAC et l’Urdla (Villeurbanne) que nous avions initialement envisagé pour cet été.

Ce projet « La Fabrique du Nous », que nous imaginons réaliser un été sur deux sur le territoire de de Villeurbanne, nous permettra d’apprendre ensemble – artistes, riverains, jeunes et vieux…- à penser et à faire collectif, à construire du Nous.

Autant dire qu’au vu de l’actuelle déflagration d’une partie de nos liens sociaux, nous sommes plus que jamais motivés !

 

Vous avez lancé depuis le confinement une diffusion live depuis l’exposition Infantia.  La multiplication actuelle des propositions digitales, place-t-elle les centres d’art dans une nouvelle dynamique de production de contenus ?

Vous avez raison de parler en termes de contenus face à ce qui était au début à mon sens une frénésie communicationnelle. En ce qui nous concerne, notre souhait a été de permettre en premier lieu aux artistes de s’exprimer. Ainsi, à la suite d’Infantia, nous allons lancer les Carnets Nomades des 5 jeunes artistes de Galerie Nomades 2020 que nous présenterons dans 5 lieux différents d’Auvergne en octobre prochain. L’intervention des chercheurs est en préparation avec le Laboratoire espace cerveau pendant que nous proposons d’ores et déjà aux chercheurs en herbe, jeunes ou moins jeunes, de s’initier à travers diverses expérimentations, via la lumière, le son…

 

Quel impact ce séisme a selon vous, sur la scène culturelle lyonnaise et les artistes en général ?

Il est difficile d’avoir une vraie vision à cette heure mais nous nous inscrivons dans un écosystème en Auvergne-Rhône Alpes plutôt bien soudé, ce depuis longtemps déjà, notamment autour de projets communs comme celui lié à la jeune création avec « Galeries nomades » sur l’ensemble du territoire avec les écoles d’art et les centres d’art, ainsi que les années Biennales avec le MAC et l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon pour le programme « Jeune Création internationale ».  Nous sommes donc tous ensemble très attentifs à la situation.

En ce qui concerne les aides proposées par le gouvernement, diverses questions se posent. Pour commencer, nous n’avons pas dans le domaine des arts visuels d’intermittence. A ce propos, ce n’est pas le cas non plus en Allemagne qui par ailleurs a pris des mesures bien plus importantes en matière de soutien à la création visuelle. Autant il faut se réjouir de l’intermittence pour les arts de la scène, autant cela renvoie à une réelle disparité avec l’économie des arts visuels. Celle-ci, il faut bien le dire, est principalement liée au marché de l’art et à tout ce qui en découle. Sans plaider pour une intermittence probablement difficilement applicable à notre secteur, j’aspirerais dans cette période à un soutien public des artistes plus important afin de leur permettre de pouvoir davantage diversifier leur économie privée-publique…

 

Comment imaginez-vous le monde d’après et pensez-vous qu’en matière de conscience écologique cette crise soit une alerte et entraînera des changements durables dans nos habitudes et attentes vis à vis de l’art et des musées ?

L’IAC, via son laboratoire et d’autres projets, est déjà au travail depuis plusieurs années avec une prise de conscience au regard des actuels bouleversements et mutations et des questions posées par l’Anthropocène.

Tout est déjà en chantier, si l’on évoque par exemple de récentes journées d’études comme « Faire chair, comment changer de paradigme dans des mondes enchevêtrés », «Métamorphose et contamination, la permanence du changement ». Toutes ces approches convergent vers une nécessaire transformation voire une métamorphose.

Je suppose que les musées vont comme nous tous, s’adapter à cette situation inédite.

Quant à l’IAC qui est avant tout un institut, à lui donc de poursuivre plus que jamais ses explorations et ses expérimentations…

Prédire l’après est de l’ordre de l’impossible mais l’idée est d’être en chemin et de pouvoir poursuivre activement via ce laboratoire*, le rassemblement des artistes et des chercheurs – du sensible, du scientifique, du lien social et de la pensée – afin de se donner la chance d’apprendre ensemble la manière de penser et de construire le monde de maintenant.

Je garde le sentiment qu’il faudrait pouvoir nettement passer à la vitesse supérieure en termes de solidarité à l’échelle de la société toute entière mais aussi au niveau du monde de l’art, des arts.

A ce moment clé, ceci pourrait nous permettre de nous rassembler avec plus d’acuité et de désir de faire ensemble. Du moins je l’espère.

 

*laboratoireespacecerveau.eu


Infos :

INSTITUT D’ART CONTEMPORAIN

11 rue Docteur Dolard, Villeurbanne

INFANTIA (1894-7231), Fabien Giraud et Raphaël Siboni

Jusqu’au 27 septembre