Entretien avec Claire Le Restif - L’Ame Primitive au musée Zadkine

 

Claire Le Restif, commissaire d’expositions et directrice du Centre d’art contemporain le Crédac, signe avec Jeanne Brun, conservatrice du patrimoine et directrice du département culturel de la BNF, l’exposition L’Ame primitive autour de la pensée non académique de Zadkine dans son atelier musée du 6ème arrondissement.

 

Une exposition qui réunit une centaine d’œuvres modernes et contemporaines autour de ce concept de primitif lié chez Zadkine à ses racines russes et slaves, son rapport à la nature et à la matière. Alors que de nombreux artistes contemporains réinvestissent ce thème, le parcours sous forme de déambulation dans les différents espaces de l’atelier et du jardin revient sur les enjeux de ce renversement de perspective, le corps et ses représentations libérées et la demeure, siège de la pensée et du repli intérieur, selon les trois chapitres qui scandent cette traversée.

 

Quelle a été la genèse de l’exposition ?

Jeanne Brun, alors directrice du musée Zadkine, m’a parlé de son souhait de réaliser une exposition qui s’intitulerait L’Ame primitive et m’a invité à travailler avec elle. Je connaissais le musée et je suis avec fidélité le programme mis en place par Noëlle Chabert il y a quelques années avec pour projet de lire l’œuvre de Zadkine à l’aune du travail des artistes contemporains. J’ai accepté avec enthousiasme cet exercice et j’ai entamé un important travail de recherche autour du primitivisme. Un retour à mes études d’histoire de l’art en quelque sorte.

De plus, j’apprécie réellement de travailler en co-commissariat. En termes de méthode de travail nous étions dans un véritable échange, nous proposant mutuellement des œuvres et des artistes. Je suis très heureuse d’avoir pu travailler avec Jeanne (et Pauline Créteur qui nous a assisté tout au long du processus) malgré les difficultés liées au Covid et à notre obligation de travailler à distance en concertation avec les nombreuses équipes de Paris Musées.  Réunir 30 artistes dans un musée au format domestique a été une vraie gageure.

 

Revenons sur cette perspective inversée, point de départ et titre de la 1ère partie de l’exposition

Nous sommes parties du titre de l’ouvrage du philosophe et théologien russe Pavel Florenski autour d’une certaine vision du primitivisme débarrassée de toute hiérarchie. Zadkine ne se positionne pas du côté du progrès ou de la modernité, il est assez atypique en cela pour son époque. Son primitivisme est plus lié à ses racines russes qu’à un goût pour l’art extra-occidental. Il s’intéresse aux arts populaires, à l’art médiéval, à la question de l’enfantin, à l’art des fous. C’est une sorte d’artiste brut. Son primitivisme nous intéresse dans ces échanges que nous observons actuellement entre la scène contemporaine et un certain retour à l’animisme et au transhumanisme. Zadkine est une figure non pas antimoderne mais qui, au regard de cette perspective inversée, se nourrit plus à la source qu’à l’enjeu académique du progrès.

Un renversement de perspective que l’on retrouve dans les collages de Valérie Blass ou ceux de Hannah Höch, dans la sculpture d’Abraham Poincheval ou encore dans la vidéo inédite de Mathieu Kleyebe Abonnenc.

 

Quel parcours proposez-vous ?

Il s’organise en trois temps avec la perspective inversée, le corps et sa représentation et « la demeure » selon le titre de l’œuvre d’Etienne-Martin. La dernière partie de l’exposition est celle sur laquelle j’ai écrit mon texte pour le catalogue.

L’atelier du jardin étant pour Zadkine, un refuge nécessaire à la création et à la réflexion. Mon texte s’intitule La vertèbre atlas, qui est la cervicale qui soutient le cerveau, siège de nos pensées et de nos actions. Il est question dans cette partie de l’exposition également de l’enveloppe charnelle et psychique et de siège de la mémoire à travers des œuvres soumises aux aléas du temps et de la matière avec les sculptures de sable et de cire de Rebecca Digneou de l’évocation du moule naturel à travers la carapace d’une tortue qui contient du gallium chez Mathieu Kleyebe Abonnenc. Ainsi que les mutations constantes que l’on retrouve dans les céramiques de Caroline Achaintre.

 

Quels artistes aviez-vous à cœur d’exposer ?

Marisa Merz – Je l’ai montré la première fois au Crédac autour de l’exposition collective Le travail de rivière en 2009. Elle ne fait toujours pas partie des collections publiques françaises, c’est pourquoi il est difficile d’obtenir des prêts. Béatrice Merz, qui a ouvert la Fondation à Turin, et quelques collectionneurs ont été séduits par notre projet et nous ont accordé le prêt d’un bel ensemble d’œuvres dont ce magnifique visage, devenu l’emblème de l’exposition.

Miriam Cahn- J’ai fait acheter par le Frac des Pays de La Loire cette grande toile, une guerrière dans une posture de défi et de défiance, le corps devenant chez l’artiste un manifeste. Une œuvre très forte et symbolique.

Gyan Panchal – Dans la 3ème partie du parcours, construite autour des notions de la demeure et du souffle vital, je tenais avec cette pièce centrale du bleu de travail mis en suspension, en jachère, à suggérer ces temps non productifs qui peuvent être très fructueux.

Morgane Courtois- Un des jeunes artistes de l’exposition, présente deux sculptures. L’une en regard des Vendangesde Zadkine et l’autre en regard de La grande porteuse d’eau. Jardinier dans une première vie, ce sculpteur, actuellement exposé à Dubaï au Pavillon France Exposition Universelle, s’intéresse aux propriétés vivantes et alchimiques de la matière.

 

Quelle place occupe le commissariat dans votre activité ?

Le cœur de mon métier, au-delà de la direction d’un centre d’art, est le commissariat d’exposition. Je n’ai jamais cherché ces propositions curatoriales qui sont venues à moi, que ce soit l’exposition de Dove Allouche à Vancouver en 2018, le 21ème Prix Ricard en 2019, Paris Internationale en 2020. Cette exposition dans un musée est une première. C’est l’occasion pour moi d’un cheminement intellectuel enrichi et d’un élargissement des perspectives pour le Crédac que je dirige à Ivry.


 

« L’Ame primitive »

jusqu’au 27 février 2022

100 bis rue d’Assas
Paris, 6e