Entretien avec Claire Jacquet, directrice du Frac Nouvelle Aquitaine -MECA

 

« On a peu écouté les artistes pendant cette période, si l’on compare aux hommes politiques et aux scientifiques ».

 

Le Frac Nouvelle Aquitaine augmente son budget d’acquisitions d’œuvres, en quoi
est-ce un signal fort en cette période ?

Il nous a semblé important de réagir pour répondre aux difficultés que traversent les artistes et créateurs. Nous sommes en première ligne avec eux, même si à notre niveau nous restons moins impactés. Je l’ai mesuré en termes de projets d’expositions, workshops, conférences ou possibles ventes en galeries et dans les foires. Nous avons donc fait le choix, avec notre président Bernard de Monferrand, à la fois de lancer un appel à projets – sur lequel nous reviendrons – et d’augmenter le budget d’acquisitions cette année de 20 000€ à partir de ressources pourvues par une billetterie mise en place à la MÉCA.

 

Quel bilan faites-vous de l’appel à projets lancé par le Frac ?

Nous l’avons lancé tout début avril, la même semaine je crois que l’annonce de soutien d’Antoine de Galbert. Le principe étant de pouvoir susciter et accompagner des projets qui prenaient acte, de près ou de loin dans ce contexte lié au COVID, sans avoir à l’illustrer directement. Ces bourses de 2000€ ont été attribuées à 25 artistes* à partir de 400 dossiers, après une sélection opérée par un jury restreint et la participation de l’artiste Suzanne Husky.

Etonnamment, beaucoup d’artistes n’étaient pas de la région Nouvelle-Aquitaine, alors que cet appel s’adressait en priorité aux artistes liés à notre territoire. J’ai ressenti cela à la fois comme un intérêt à pouvoir répondre de cette période, alors que peu d’occasions permettaient de le faire, et des vrais difficultés financières face auxquelles on ne pouvait pas rester indifférents.
En ce qui concerne les critères de sélection, étant donné le nombre de dossiers, nous avons dû écarter les artistes sans lien direct avec la région, et tous les créateurs ne relevant pas du secteur des arts visuels et plastiques (danseurs, écrivains, réalisateurs…). Une fois cela acté, a primé l’intérêt du projet, son originalité, tout en préservant la meilleure représentativité possible entre les hommes et les femmes, des tranches d’âge différentes, des ancrages géographiques divers avec des artistes parfois très éloignés de Bordeaux et que l’on côtoie moins souvent. Les réponses étaient très fortes à mon sens, avec des vécus existentiels qui ont percuté nos expériences respectives de confinement.

Revenir sur cette charge émotionnelle, qui était déjà en construction pour certains d’entre eux, m’a bouleversé.

 

Quelle vision gardez-vous de cette période ?

Cela a été une parenthèse dans nos vies personnelles et professionnelles qui a agi comme un révélateur sur beaucoup de choses.

Pour ma part cela a été l’occasion de réfléchir différemment, d’où cet appel à projets, d’essayer de sortir de nos réflexes ou dispositifs habituels pour nous adapter. La principale force de l’esprit humain c’est de s’adapter comme le résumait Darwin : « ce n’est pas l’espèce la plus intelligente ou la plus forte physiquement qui résistera, c’est celle qui saura évoluer ».

Je pense aussi que la période va durer et qu’il va falloir en permanence se questionner. C’est le moment de le faire. Nous n’avons pas le choix et, au sein des institutions, beaucoup d’entre nous s’interrogent sur les grandes expositions assez coûteuses, qui restent passionnantes, même il faut sans doute aussi regarder plus du côté de nos collections et travailler plus régulièrement avec des artistes qui sont dans nos régions respectives.

 

A quel horizon estimez-vous une réouverture du Frac ?

L’idée est de pouvoir réouvrir début juillet et j’espère même peut-être avant. Mais nous sommes dépendants d’une réponse de la Préfecture quant à la réouverture de la MÉCA, quant à notre classement de petit ou moyen musée, même si nous restons petits par rapport au Louvre ou au musée du Quai Branly ! J’ai bon espoir de pouvoir le faire avant l’été, avec toutes les mesures sanitaires de rigueur, dans un bâtiment ample qui offre de grands espaces d’exposition pour pouvoir accueillir les visiteurs dans de bonnes conditions.

Le public pourra alors découvrir l’exposition « Narcisse ou la floraison des mondes » qui rassemble une centaine d’œuvres (vidéo, installation, peinture, dessin, photographie, sculpture) interrogeant la hiérarchie des genres artistiques et la fabrique du vivant industriel. Cette exposition devait être décrochée fin mars et sera finalement conservée jusqu’au 22 août.
L’exposition suivante, « Milléniales. Peintures 2000-2020 », portera sur la peinture depuis l’an 2000, avec pour commissaire Vincent Pécoil qui compose cette exposition à partir de nos collections en région (du Frac Nouvelle-Aquitaine et aussi d’autres collections publiques comme le CAPC et le CNAP). Initialement prévue au printemps, elle est repoussée à l’automne, du 24 septembre 2020 au 3 janvier 2021.

 

Le monde de l’art saura-t-il, selon vous, tirer les leçons de cette crise ?

Il est encore difficile de donner une réponse à ce stade. Je pense que nous allons modifier certaines choses sans savoir encore lesquelles et que cela va prendre du temps. Faisant partie d’un milieu privilégié, car ayant accès à la culture, nous n’avons pas d’excuses pour ne pas être exemplaires ! Il faudra savoir faire les bons choix et participer à ce mouvement de conscience citoyenne sur le monde, pouvoir réfléchir avec nos contemporains à ce monde de demain. Les artistes nous y invitent et on ne peut être que partie prenante !

 

Question plus personnelle : quel a été votre 1er réflexe de déconfinement ?

Je n’ai pas complètement « déconfiné », étant dans les Landes, pas très loin de Bordeaux. J’ai cette chance d’être réfugiée à la campagne. Les Landes ayant vécu deux jours de montée des eaux exceptionnels, je vais essayer de rentrer à Bordeaux dans les jours prochains si les routes ne sont pas bloquées.
Mon premier réflexe je pense, sera d’aller voir quelques amis !

 

*Liste des lauréats : Benjamin Artola, Ludovic Beillard, Johann Bernard, Carol Bîmes, Julie Chaffort, Jean-Luc Chapin, Laurie Charles, Christophe Clottes et Lúcia Leistner, Mona Convert, Bastien Cosson, Dalila Dalléas Bouzar, Bertrand Dezoteux, Céline Domengie, Maitetxu Etcheverria, Laurent-David Garnier, Coline Gaulot, Nino Laisné, Mélanie Lecointe, Isabelle Loubère, David Malek, Marion Mounic, Nani$ôka Groupe, Barbara Schroeder, Laure Subreville, Corenthin Thilloy


Infos :

Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA

5, Parvis Corto Maltese, Bordeaux

 

Réouverture début juillet 2020

« Narcisse ou la floraison des mondes » jusqu’au 22 août

« Milléniales. Peintures 2000-2020 » du 24 septembre au 3 janvier