En double aveugle, Jean-François Leroy
La production artistique de Jean-Francois Leroy réside en une réactivation de formes véhiculées dans le monde industriel et le design de notre quotidien. Très marqué par le travail de Blinky Palermo, et de fait par le constructivisme et le minimalisme, il initie un dialogue entre pictural et sculptural dans un rapprochement forme/fonction tout en gardant à l’esprit le rapport au corps.
« Elaborer l’unique à partir du même » est le titre de sa « thèse de pratiques », comme il me le précise, aboutissement de trois ans de recherches dans le cadre du programme SACRe (Sciences, Art, Création et Recherche) sous la direction de Guitemie Maldonado et Jacques Julien, et qui donnera lieu à une exposition début avril dans l’espace de l’AhAh suite à sa soutenance. La pratique d’atelier est au cœur du travail de cet artiste qui collecte matériaux et objets pour leur forme, leur couleur ou leur histoire. Par un procédé de déduction, il découpe, puis assemble les éléments dans une certaine épure, contredite parfois par un élément décalé, ce qui génère une nouvelle lecture tout en préservant l’identification possible avec la pièce d’origine.
Pour l’espace principal des Instants Chavirés à Montreuil, installé dans l’ancienne brasserie Bouchoule depuis 1991, Jean-François Leroy présente un ensemble de pièces murales confrontées à une série récente de sculptures/sérigraphies réalisées grâce à l’aide de la maison d’éditions Franciscopolis. Les photographies d’anciennes sculptures sont utilisées pour donner naissance à de nouvelles formes au travers de sérigraphies appliquées sur des volumes, dans un aller-retour entre bi et tridimensionnalité, créant ainsi une mise à distance du travail. L’accrochage est pensé comme un assemblage et propose un paysage où les objets/sculptures dialoguent entre eux et avec les éléments architecturaux du lieu. Echange entre une forme et une autre, entre deux couleurs, entre une œuvre et son environnement, enfin entre l’œuvre et le spectateur. Par un jeu de manipulation et de recouvrement, des pièces « à échelle de la main » renvoient au quotidien. Une bâche publicitaire se transforme alors en tableau abstrait, évoquant par ailleurs une œuvre d’Ellsworth Kelly dans un désir d’ouverture du concept de la peinture.
Dans la salle en contrebas, grâce à un moulage de l’espace par projection d’un crépi coloré, l’artiste dédouble les murs en gardant l’enveloppe externe – la peau des murs – intacte et lisse, alors que l’intérieur est au contraire façonné par la main du sculpteur.
Avec la vidéo « Splitting », l’artiste propose au spectateur de découvrir de nouveaux paysages, en dessinant un horizon au travers de matériaux découpés, permettant à ces formes de jouer le rôle d’obturateur.
Dans cet entrepôt aux murs bruts, à la charpente imposante et au sol particulier, l’artiste a tenu compte des éléments architecturaux pour permettre aux œuvres de s’intégrer, afin d’inciter le visiteur à déambuler dans ce paysage de formes.
Sylvie Fontaine