DOCUMENTA FIFTEEN à KASSEL
La documenta a lieu tous les 5 ans et présente pendant 100 jours un « état de l’art dans le monde ». Le commissariat de cette 15e édition a été confié au le collectif d’artistes Indonésiens, Ruangrupa, qui a lui-même fait appel à d’autres collectifs dans le monde, et ce sont environ 1000 activistes et artistes quasiment inconnus qui participent à cette édition dans 32 lieux à travers toute la ville.
Disons-le tout de suite : cette documenta 15 pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Elle propose différents axes de recherche centrés sur la coopération et la solidarité.
« Lumbung » est le nom imposé par les commissaires pour définir la méthode ainsi que l’objectif. En indonésien, « Lumbung » désigne le grenier où toutes les récoltes du village sont regroupées, mais aussi leur mode de gestion par et pour le village.
Ce que nous découvrons est donc essentiellement un ‘work in progress’ qui se déroule sous nos yeux et invite à la participation. Documenta 15 pose la question de la légitimité de l’art dès lors qu’il ne sert pas à éveiller les consciences pour sortir des guerres économiques ou militaires menées par et pour une minorité. Elle est délibérément plus politique qu’artistique. Nos critères occidentaux installés dans le « beau » convenu sont mis à mal et bousculés par les revendications des minorités opprimées et un tiers monde inquiet. En donnant la parole et les cimaises aux exclus, la documenta 15 a le courage de dire et illustrer le contraire de Bâle ou Venise en inventant un « art des pauvres », à ne pas confondre avec un art pauvre. C’est donc la force des cris et des révoltes qui donne leur puissance aux représentations. Documenta 15 offre à voir l’atelier et l’arrière cuisine des lieux participatifs et revendicatifs ainsi que tout ce qui en sort, de meilleur comme de pire.
Puisque le processus quasi tribal de création est au cœur de l’éducation sociale et de la production d’œuvres, l’emblématique bâtiment d’exposition, le Fridericianum, est transformé, comme d’autres espaces, en lieu d’habitation où les artistes dorment, vivent, échangent, créent et exposent. Une aile entière du musée est transformée en garderie où les enfants sont aussi invités à s’exprimer, créer et participer. Les étages du Fridericianum se répartissent entre illustrations du processus créatif et œuvres engagées comme celle de la polonaise rom Malgorzata Mirga-Tas dont les grandes broderies rendent hommage à l’histoire et aux coutumes de son peuple. De même, les grandes et puissantes toiles colorées de l’australien Richard Bell militent pour les droits des aborigènes. Parmi les peuples martyrs, les Kurdes sont mis à l’honneur à travers les vidéos du collectif Komina Film A Rojava.
Plus loin, l’accès à la Documenta Halle se fait à travers un tunnel de tôles ondulées empruntées aux ghettos des grandes villes d’Afrique. On y retient la parodie jubilatoire des films de Kung Fu réalisée par un collectif ougandais qui fait jouer les habitants du village. Sinon, on reste sur sa faim devant un magasin de fruits et légumes en céramique. Dès lors on ne s’étonne pas de la présence d’une piste de skate-board qui occupe l’espace.
Dans le lieu insolite de WH22, le Maroc montre un très charmant film entre tradition et modernité, tandis que Hamja Hassan propose des sermons sur le Kaboul Hallal Fried Chicken et que le palestinien Mohamed Al Hawarje présente de grands montages photographiques où la paix de certains célèbres tableaux classiques est troublée par l’arrivée des chars de l’armée israélienne.
Documenta 15 rompt délibérément avec les éditions précédentes et fait découvrir de nouvelles approches. D’ailleurs le préambule du catalogue (indispensable) affirme de manière un peu arrogante : « Ceci n’est pas la documenta 15, mais Lumbung 1 ». Il est vrai que l’approche collective est féconde et légitime et montre ses vertus. Mais à y regarder de plus près, nous constatons quand même que les œuvres les plus fortes sont signées par un artiste individuel, peut-être moins bavard mais plus talentueux que le groupe.
Les propositions et les œuvres les plus inattendues ou radicales sont pour la plupart présentées sur la rive gauche de la rivière Fulda, dans des lieux inusités qui sont le plus souvent d’anciennes usines désaffectées tels la Hübner Areal où l’Asie est particulièrement présente. De même l’ancienne piscine Hallenbad-Ost montre des espaces denses de propositions contestataires et des réalisations collaboratives souvent monumentales. Alors on est parfois séduit par certaines propositions, mais on ne peut s’empêcher d’être aussi agressé par la violence de certaines scènes qui rappellent que les révolutions apportent souvent leur lot de terreur. Certaines images rappellent les affiches maoïstes, mais au milieu de toutes ces formes d’expression se dégage un appel à l’échange, à la convivialité, à la solidarité, à la justice et à l’équité pour sauver la planète et la diversité de ses habitants. L’écologie n’est pas oubliée car victime aussi, comme les humains qui sont mis sur le devant de la scène.
En fin de compte, on ne peut que se demander au sortir de la documenta 15 : Qu’est-ce que l’art ? Quelle est sa fonction, voire sa légitimité ? Comment s’inscrit-il dans la et les sociétés ?
Ces questions sont pertinentes et méritaient d’être posées, développées et illustrées. C’est ce que fait la documenta 15. Par contre, y répondre uniquement par « Lumbung » peut apparaître comme insuffisant.
INFOS :
Documenta 15 Kassel
jusqu’au 25 septembre 2022