Des grains de sable au Carré de Baudouin

Par Marie Gayet4 octobre 2024In Articles, 2024

 

 

Autour des imaginaires de l’évasion, les œuvres des six artistes, Mounir Ayache, Paul Heintz, Prosper Legault, Chloé Quenum, Elsa Sahal et Liv Schulman, lauréat·es d’une bourse de production de la Ville de Paris et du Crédit Municipal de Paris, questionnent la notion de paradoxe et reflètent les contradictions du monde contemporain. L’exposition accueille également une artothèque éphémère avec des œuvres de Paris Collection – Fonds d’art contemporain

Le titre Des grains de sable suggère la présence d’éléments perturbateurs, des présences qui viendraient gêner ou obstruer la bonne marche d’un mécanisme, mettre en doute certains automatismes, et insuffler du trouble dans des systèmes bien rôdés. Les six artistes pratiquent à leur manière ces écarts dans le réel que certains pourraient même qualifier de sabotages. Leurs œuvres, aux médiums différents (céramique, vidéo, verre, sculpture, recyclage, etc …), réalisées grâce à la bourse de production et montrées ici pour la première fois, se lient les unes aux autres par un appel aux imaginaires de la lutte et d’une forme de résistance.

Obstructions, le film de Paul Heintz, est né d’une recherche autour d’archives consistant à identifier différentes actions de grèves par l’obstruction depuis la fin du XIXe siècle. Prenant comme point de départ cette « grève du zèle », Paul Heintz fait intervenir un groupe d’ouvrier·e·s et de danseur·euse·s dans une usine à l’arrêt pour créer une chorégraphie. La danse devient alors une réflexion militante autour de la notion des corps au travail et de l’injonction à la performance qui traversent tous les champs de la société. L’œuvre prend la forme d’une vidéo, mais aussi d’une installation qui plonge le·la spectateur·ice dans cette usine qui fonctionne au ralenti.

Dans Un Círculo que se fue rodando/La chica con el chicle en el zapato, le film choral de Liv Schulman, c’est par la prise de parole que l’artiste donne à voir et à entendre un groupe de manifestants dans les rues de Buenos Aires. A travers leurs échanges, l’œuvre pointe du doigt les dérives politiques et sociétales du capitalisme et ses conséquences pouvant aller jusqu’à l’absurde.

Avec Souvenirs de Paris, Prosper Legault propose un assemblage monumental d’anciennes enseignes parisiennes et de néons glanés au cours de ses déambulations dans la ville. A la lisière de la sculpture et de la poésie, il crée un paysage et convoque l’esthétique des clichés touristiques, un peu suranné mais propice à émerveiller. Pourtant, tout son travail nous fait porter le regard sur les déchets urbains et la manière dont les capitales digèrent et mixent les objets et les cultures dont elles proviennent.

Le monde de la nuit et des rêves entre dans l’univers de Chloé Quenum dont l’installation Maison d’éternité déploie des objets déclinés à partir de l’appui-tête. Ce témoin silencieux de nos nuits passées, présent sur tous les continents depuis l’Antiquité, adopte différentes formes et matériaux. Quel terrain plus propice que le rêve pour glisser dans une autre réalité et venir distordre la réalité ? « Il est le signe que quelque chose arrive » nous dit la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle, et où le temps se diffracte.

Le projet L’odyssée d’Hassan al-Wazzan de Mounir Ayache sur le mode du jeu vidéo et du diorama brouille lui aussi les frontières du temps en mélangeant passé, présent et futur. Cette approche plonge les visiteurs dans le voyage initiatique de Hassan al-Wazzan (c. 1494- c. 1555), dit « Léon l’Africain », célèbre pour sa Cosmographia de Affrica de 1526, qui décrit l’Afrique subsaharienne et du Nord. Lors du sac de Rome au XVIe siècle, cet ambassadeur découvre une porte spatio-temporelle le téléportant au XXVIe siècle. Ici, l’image du grain de sable n’est plus seulement celle du désert de sable étendu à l’infini, mais aussi celle du sablier, de l’écoulement de temps, toujours recommencé.

Quant à Elsa Sahal, dont on connaît l’humour malicieux, c’est avec Bonbon moustache, une série de sculptures en terre et en verre réalisées en collaboration avec des maîtres-verriers qu’elle apporte son grain de sable. Bonbon Moustache se réfère à l’expression créole qui désigne le sexe féminin. Les sculptures présentées sont des vases en céramique anthropomorphes à l’intérieur desquels l’artiste a arrangé des bouquets de fleurs-seins et de fleurs-sexes. Entre le solide et le liquide, entre la terre et le verre (matériau qui l’a intéressée pour sa transparence, sa liquidité et son côté visqueux), le contenant et le contenu, l’intérieur et l’extérieur, les sculptures assument leur puissance érotique et leur fragilité.

L’initiative étant une première, il est important de signaler qu’en parallèle de l’exposition, la Direction des affaires culturelles de la Ville de Paris propose pour la première fois aux visiteurs d’emprunter une œuvre de la collection du Fonds d’art contemporain – Paris Collections, parmi la vingtaine artistes sélectionné·es pour l’occasion.

 

 

Infos

Des Grains de sable
Du 12 octobre au 14 décembre 2024
Carré de Baudouin
121 rue de Ménilmontant Paris 20e