DEREK JARMAN - Dead Souls Whisper  

Par Francoise Docquiert16 novembre 2021In Articles, 2021, Revue #27

 

Le Crédac d’Ivry-sur-Seine fait découvrir au public français une œuvre très politique d’une esthétique foisonnante qui porte une vision radicale sur la société anglaise des années 1970-90.

 

Le nom de Derek Jarman m’était familier mais je connaissais très peu son œuvre. Une fois de plus, c’est à l’intelligence de Claire Le Restif, en collaboration avec les commissaires associés Amanda Wilkinson et James Mackay, qu’on doit le plaisir de découvrir le travail hors norme et exceptionnel de cet artiste décédé en 1994.Méconnu en France, Derek Jarman (1942–1994) est considéré outre-Manche comme une icône, la figure de proue de la scène underground britannique, à la fois peintre, réalisateur, scénariste, musicien, acteur, jardinier, militant des droits homosexuels.  Une œuvre très politique d’une esthétique foisonnante qui porte une vision radicale sur la société anglaise.

 

L’exposition se concentre sur la dernière partie de sa vie, dès le moment où il est diagnostiqué séropositif en 1986, période coïncidant avec celle où il fait naître son jardin légendaire, dans un milieu hostile autour de Prospect Cottage à Dungeness dans le Kent, qui reste aujourd’hui encore un lieu où sa mémoire est vivante.

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Elle s’organise autour d’une cinquantaine d’œuvres : essentiellement, sa pratique de la peinture, des assemblages proches parfois de l’art brut et du surréalisme, imprégnés d’un noir profond, et trois court-métrages réalisés en Super 8 – At Low Tide : The Siren and the Sailor (1972), Death Dance (1973), Sloane square : A Room of One’s Own (1974-1976).  Sur grand écran dans la dernière salle est projeté le film Blue,que Jarman réalise peu avant sa mort alors qu’il est atteint de cécité. Un écran bleu de 79 minutes sans image, en référence à Yves Klein, porté par un commentaire invitant à la méditation, sorte de testament ultime fait de mots, de bruits, de sons.

 

Revenir à la peinture c’est ce que fait Jarman en 1992 avec les dix-sept Queer Paintings, pour la plupart monumentales et réunies dans la grande salle du Crédac. La couleur y est réduite à sa synthèse qui tente de saisir des éléments d’un réel autobiographique, portés à la limite de la lisibilité. Cette manière de cacher, de couvrir, de soustraire au regard l’information visuelle opère particulièrement dans cette salle. A travers des slogans voilés issus de quotidiens britanniques à grand tirage, noyés dans le gouffre de la toile et dans les troubles d’une calligraphie de titres, il émerge là une poésie muette de la peinture comme une évidence. Une toile tellement peinte qui, par couches successives, finit par parler des terribles tempêtes qui la secouent. Les toiles en sont d’autant plus subversives, lançant des offensives contre le système conservateur du Royaume-Uni des années Margaret Thatcher.

 

Conceptuellement intelligente et visuellement d’une force presque énigmatique, l’œuvre de Jarman offre des suggestions originales, inventives pour, une fois encore, dénoncer l’homophobie et élargir la vérité de son époque.

 

A la question qu’on lui posait sur le choix de ses sujets autour du VIH, du sida et de sa propagation, Jarman répondait : « Ces sujets ont formé le monde dans lequel je vis. En les ignorant, on laisse le terrain à l’opposition. La chose à faire est de les embrasser et de modifier la façon dont ils sont perçus.* »

 

*Extrait d’un documentaire Derek Jarman, a portrait réalisé par Mark Kidel.

 


A lire la revue Please to Meet You, numero 11, septembre 2021, consacré à Derek Jarman, Sémiose Éditions.

 

DEREK JARMAN- Dead Souls Whisper  (1986-1993)

Jusqu’au 19 décembre 2021

 

Le Crédac

La Manufacture des Œillets

1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine