La sobriété de ce titre laconique, reprise d’après l’œuvre de Rero, résume aisément un pan fataliste que suscite le problème écologique. Pourtant, la barre qui s’y appose et traverse ces lettres de part en part suggère que ce point final n’en est pas un.
L’artiste Rero utilise les Warning stripes du climatologue Ed Hawkins comme fond thématique de ses phrases concises. Ces rayures ont une colorimétrie croissante justifiée d’après les températures enregistrées à la surface du globe. Face à la dominante de couleurs chaudes, l’artiste refuse le stoïcisme d’un constat pessimiste au regard du désastre environnemental et offre, par le simple geste linéaire qui est le sien et les trois points de suspension qui le poursuivent, une issue qui est à imaginer. Le contexte de l’exposition est désormais clair : cette sobriété désigne une nouvelle manière de vivre et de consommer, avec résilience.
Bianca Argimón souligne avec cynisme le peu de réactivité d’une partie de la société, tournée vers le profit, avec son installation Zen Garden. Dans un décor de gravillons harmonieusement râtelés sombrent lentement les crânes dégarnis et les costumes du capitalisme vieillissant. En fond sonore, une collection de bruits dits « ASMR » (Autonomous sensory meridian response), qualité essentiellement retenue pour sa capacité à détendre son interlocuteur. Face à l’état végétatif des portefeuilles de la City, il semble destiné au visiteur de faire lui-même les premiers pas vers cette sobriété salvatrice. Il s’agit avant tout de réaliser un constat. Art Orienté Objet en grave un, The Diamond Stone, peu reluisant et à destination d’une prochaine civilisation. Sur une pierre à fossile du crétacé, les artistes sont venus retracer le paysage humain depuis sa naissance, traversant les couches géologiques et les fossiles incrustés dans le minéral. Si végétaux et animaux constituent les premières lignes de cette pierre de Rosette du XXIe siècle, ils sont peu à peu remplacés par des plaines arides et des champs ponctués d’excavations pétrolière. En guise de conclusion, et en dernier recours, les artistes ont également consigné le message d’Arecibo. Ce code, créé en 1947 pour communiquer avec les extraterrestres, condense l’ensemble des informations propres à notre existence : éléments chimiques, constituants de l’ADN, figuration de l’être humain, système solaire et une représentation de la Base radiotélescope d’Arecibo d’où est envoyé ce code.
Une fois la prise de conscience établie, il s’agit par la suite de trouver comment renouveler nos modes de vies. Jordan Roger entend dénoncer un fait de société avec son impressionnante céramique Burn them all (Brûlez-les tous). Ce château, qui ressemble à celui de la franchise Disneyland, est en ruine, prenant feu de toutes parts. Du conte de fée, il ne reste que les couleurs criardes. En filigrane de ce saccage, la polémique de la loi « Don’t say gay » mise en place en Floride en 2022, et le financement par la franchise de certaines organisations politiques, par la suite interrompu.
Gabriele Galimberti, de son côté, prend pour motif l’automédication dans ses photographies Home Pharma. A travers le monde, il met en scène avec une extrême simplicité les familles et leurs pharmacies respectives. Si à Haïti, il est plus courant de s’en remettre aux plantes, force est de constater la profusion des boîtes blanches et des comprimés pelliculés dans la plupart des autres pays. Et de s’apercevoir d’une prépondérance d’anti-dépresseurs en France.
Le chapitre suivant nous invite à repenser notre « spiritualité consumériste », explicitée par Dominique Bourg, philosophe et co-commissaire de l’exposition. Il en propose un substitut fondé évidemment sur la sobriété qui ne signifie pas la restriction drastique mais une manière de se réaliser en tant qu’humain sans recourir à l’accumulation.
Rita Alaoui propose dans ce sens Lawsonia Cataplasm Garden, une vidéo performance retransmise sur trois écrans dans un espace presque clos où le spectateur est bercé par les odeurs de henné. L’artiste y reproduit un rituel de guérison au henné transmis par son arrière-grand-mère marocaine en contant ses souvenirs à propos. La blancheur clinique de l’espace performatif s’oppose radicalement aux fibres des feuilles séchées et à la mélasse du mélange dont elle s’enduit les bras. Ce contraste des matières introduit la phytothérapie dans un nouvel univers médical – en témoigne le blanc qui habille l’artiste et les murs – où l’on répare les âmes et les corps en puisant dans la nature.
Franck Lundangi dresse, quant à lui, des portraits, notamment Témoins du mystère, où se mêlent en symbiose personnages anthropomorphes, planètes, animaux et plantes aux couleurs chatoyantes. L’exposition montre ainsi de multiples manières d’être au monde, qui reposent sur des réalités sociales ou des expérimentations avec l’intelligence artificielle. Elle se clôt dans l’espace au sous-sol, plongé dans la pénombre. Il en émerge, entre autres, une œuvre de Joachim Bandau, dont les rectangles d’aquarelle superposés avec une infinie patience sont un parallèle avec celle dont nous devons faire preuve pour parvenir à cette transition. En lien, le court-métrage de Hicham Berrada, Natural process Activation #3 Bloom, donne à voir l’éclosion d’un champ de pissenlits, phénomène rarement visible dont le spectacle contemplatif sonne comme une promesse de beauté à venir.
Demain est annulé…de l’art et des regards sur la sobriété
Jusqu’au 29 septembre 2024
Fondation Groupe EDF
6 rue Récamier, Paris 6e