Musée des Civilisations Noires, Musée Théodore Monod d’Art Africain, Musée Léopold Sédar Senghor, Place du Souvenir Africain, Galerie Nationale d’Art, Musée des Anciens Combattants. Dakar, Sénégal, jusqu’au 2 juin 2018

Cette édition 2018 met en avant le thème de « L’Heure Rouge », une couleur symbolique du passage à la réalisation… plus que jamais incarnée ici.

Pour le Directeur Artistique de la Biennale, Simon Njami, la formule « L’Heure Rouge » est à la fois un hommage à la pièce « Et les chiens se taisaient », écrite en 1946 par Aimé Césaire, message fort  d’émancipation, de liberté et de responsabilité, et une référence à la signification de cette couleur en alchimie, « le grand œuvre ».

Passer du possible (« L’heure bleue », thème de la précédente édition en 2016) à l’ « expérience du possible », un beau symbole que chaque acteur de la Biennale avait manifestement à cœur d’illustrer cette année, malgré les difficultés.

Car à Dakar, rien ne se passe jamais comme prévu, et les obstacles à surmonter pour les organisateurs et artistes ont été encore nombreux : temps de préparation restreint à moins d’un an pour l’équipe d’organisation, moyens financiers limités – et cela malgré un futur doublement du budget annoncé lors de la cérémonie d’ouverture par l’état du Sénégal -, conditions d’exposition parfois aléatoires aussi, marquées dès le deuxième jour par une panne électrique d’une heure sur le principal site de la Biennale, et des équipes techniques souvent insuffisamment rodées à de tels évènements…

Et pourtant, cette Biennale si atypique apparaît comme une référence du monde de l’Art, les sites de monstration, et en particulier l’Ancien Palais de Justice, déploient un charme considérable… l’art y est plus accessible, sans faux semblants… et si pour les œuvres, la magie opère, c’est peut-être aussi parce qu’ici à Dakar, chacun s’investit avec une énergie étonnante.

• L’équipe d’organisation d’abord, incarnée par son Directeur Artistique Simon Njami, qui la veille du vernissage, soumis aux retards de réception des œuvres et multiples difficultés techniques, conservait un flegme à toute épreuve, restant à l’écoute des artistes.

• Tout aussi engagés les cinq Commissaires invités cette année (Alya Sebti, Marisol Rodriguez, Marianne Hultman, Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, Cosmin Costinas), qui contribuent à renforcer le caractère international de Dak’Art, à l’ouvrir au-delà du continent africain. Ainsi de la proposition de Marisol Rodriguez : malgré les interdits techniques de son site d’exposition, le musée IFAN – Théodore Monod, la commissaire d’originaire mexicaine parvient à déployer une installation collective pleine de symboles, faisant dialoguer les continents à travers le phénomène tragique des ouragans, de leur naissance en Afrique jusqu’à leur arrivée en Amérique centrale.

• Les artistes, dont l’implication dans l’installation des œuvres étaient notables, jusqu’aux derniers moments précédant (ou suivant pour certains) le vernissage. Avec des projets ambitieux, telle l’installation immersive de Emo de Medeiros (Bénin – France) ill. 1, ayant mobilisé les soutiens extérieurs grâce au financement participatif, les fortes vidéos de Mehdi-Georges Lahlou (Maroc – France), où l’image de l’artiste se perd dans les fumées colorées d’épices, en référence au sort des soldats marocains durant la 1ère guerre mondiale ill. 2, les métaphoriques voiles brodées de… frontières, « Only Dreamers Leave / Seuls les rêveurs s’en vont », d’Ibrahim Ahmed (Egypte) ill. 3, les travaux d’une patience infinie, détournant les objets domestiques, des artistes Usha Seejarim (Afrique du Sud) ill. 4 et Olanrewaju Tejuoso (Nigeria) ill. 5….

 

Les étudiants en art, issus des Beaux-Arts de Paris et de l’Ecole Nationale des Arts de Dakar, heureux d’avoir communément travaillés, de la conception à la réalisation, à l’installation « Celestial Wood / Bois céleste », coordonnée par Pascale Marthine Tayou (Cameroun), sur le site de la Galerie Le Manège – Institut Français.

• Enfin, les multiples initiateurs d’évènements locaux – plus de 300 manifestations « off », avec parmi tant d’autres cet impressionnant champ de coton – haut en symbolique sur l’esclavage – sculpté par Soly Cissé (Sénégal) sur l’île de Gorée (commissariat Fondation Dapper / Christiane Falgayrettes-Leveau), le bouleversant hommage aux manuscrits médiévaux de Tombouctou de Barthélémy Toguo sur plusieurs niveaux d’une librairie du quartier de Mermoz à Dakar (commissariat Hafida Jemni Di Folco) ou l’exposition coup de poing déconstruisant les stéréotypes post-coloniaux de Fabrice Monteiro et Dimitri Fagbohoun (commissariat Musée de la Photographie) dans une étonnante demeure abandonnée de Saint-Louis du Sénégal, cette ville-île classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.

 

Y-a-t-il une caractéristique commune aux œuvres de cette « Heure Rouge » ? « L’Art, au sens le plus pur du terme, est nécessairement politique. Il serait bon que tous le comprennent » affirme son Directeur Artistique.

De nombreux prix internationaux, comme le Turner Prize, semblent aujourd’hui suivre cet intérêt pour les questions sociétales, rompant avec la monotonie du seul exercice de forme. Mais cette Biennale n’a que faire des tendances, elle en a fait depuis toujours son identité.

Après le mandat actuel de son Directeur Artistique, les défis resteront forts pour les prochaines éditions de Dak’Art. La poursuite de l’ouverture internationale bien sûr, l’ouverture des financements (aujourd’hui dépendants à plus de 75% de l’état du Sénégal), la pérennisation de l’organisation, pour la rendre plus solide face aux alternances gouvernementales, par le biais d’une fondation par exemple… Mais une chose est sure, cette Biennale ne sera jamais un duplicata des autres évènements artistiques internationaux … Dak’Art a su imposer son « rythme propre » – « l’apanage des hommes libres » -, c’est ce qui la rend si attachante aujourd’hui et ce qui constitue durablement sa force.

Ronan Grossiat

Renseignements sur http://www.biennaledakar.org/