Cy twombly, ce que le dessin fait à la peinture

Par Marie Gayet21 avril 2017In Articles, 2017, Revue #15

«Texture graphique » c’est en ces termes que Roland Barthes, dans la préface au catalogue raisonné de Cy Twombly publié par le galeriste Yvon Lambert en 1979,  parle des  grandes écritures des années 1966-1970 « ce qui s’impose, ce n’est pas telle ou telle écriture, ni même l’acte d’écriture, c’est l’idée d’une texture graphique« . A parcourir la magistrale rétrospective au Centre Pompidou, – elle propose notamment trois séries inédites en France parmi plus de 140 œuvres –  il semble que Cy Twombly, peintre américain né en 1928 à Lexigton (Virginie), mort en 2011, ayant vécu en partie à Rome depuis 1957, érudit, passionné de mythologie et de poésie, grand voyageur, ait constamment oscillé autour de cette texture graphique, lui donnant aussi bien fonction de dessin que d’écriture, plus proche d’une poésie peinte, ceci même dans les dernières toiles très volumineuses en peinture. Selon un mode d’écriture personnel, Cy Twombly ne dessine pas, il trace des formes, laisse courir des traits, griffonne des mots ou laisse éclater les couleurs. Ses lignes sont coulures, évanescence, ses fonds crayeux, ses mots des formes de poèmes ou d’écriture automatique. Achille inscrit sur la pointe d’une lance, Venus en rouge, Apollo en bleu, ailleurs des écritures illisibles, des signes inintelligibles, des crayonnages indéchiffrables.

L’accrochage chronologique débute avec des toiles réalisées juste après son premier voyage en Europe en compagnie de Robert Rauschenberg en 1952. Appelées les toiles blanches, elles ne le sont pas complètement. Enduites de peinture industrielle, elles servent de fond à des griffures tracées, souples, répétées. L’inverse, blanc sur noir, va se retrouver  quelques années plus tard dans les toiles réalisées à la craie de cire blanche sur fond noir, au rendu plus sévère mais tout aussi captivant. Cy Twombly reprend d’une certaine manière l’idée du protocole des artistes de l’art minimal émergent à New-York. Cependant, de cette série, c’est le tableau saturé d’un geste en rouleau continu blanc sur noir, Sans titre (New York City) 1967, qui fera l’objet d’un échange entre Andy Warhol et le peintre. Il lui choisit en contrepartie l’un des TunaFish Disasters, représentation d’une tragédie contemporaine. Alors que les sujets donnent l’impression d’être déconnectés du présent, sans lien avec la réalité contemporaine, et puisant à la source des récits antiques, le cycle Nine discourses on Commodus (1963) a été peint en réaction à l’assassinat de John F. Kennedy. Neuf toiles abstraites où le rapprochement entre la cruauté  sanguinaire de l’empereur romain Commodus (161-192) et la mort violente du président américain s’exprime en taches de sang parcourues de rose, de jaune, de mauve, sur percées de blanc et aplats gris. Au « tact » évoqué par R. Barthes, c’est l’impact d’une peinture couleur qui explose. Sa virulence est quasi organique. Les deux autres grandes séries Fifty Days at Iliam (1978) et Coronation of Sesostris (2000) mais aussi Pan, Four Saisons (un hommage à Nicolas Poussin que Cy Twombly vénérait) procèdent de cette même énergie entre tension et relâchement, rêverie et sensualité. L’autre surprise de l’exposition est la découverte de sculptures et de photos que Cy Twombly a réalisées depuis le début de sa pratique. Les photos font preuve d’une étonnante rigueur formelle dans la composition, souvent des allusions à des motifs de l’histoire de l’art : la nappe, le pli, la nature morte. Quant aux sculptures – dire assemblages ou combinaisons d’objets serait plus juste – aucune dégoulinure ou gribouillis n’est visible sous la légère couche de blanc dont Cy Twombly recouvre uniformément la surface. L’artiste soulignait « la peinture blanche est mon marbre ». R. Barthes parlait aussi de « champ allusif », manière de qualifier l’œuvre énigmatique de ce peintre, aussi archaïque qu’intemporelle et habitée d’une conscience vive de la réalité transfigurée.

 

Par Marie Gayet


Infos :

Cy Twombly

Centre Pompidou / Galerie 1 niveau 6

Place Georges Pompidou, Paris 4ème

jusqu’au 24 avril 2017