Crac Occitanie : Alexandra Bircken et Bianca Bondi

 

 

Une saison très féminine au Crac Occitanie autour de l’artiste allemande Alexandra Bircken et la franco-sud-africaine Bianca Bondi. Si l’on avait découvert Alexandra Bircken pour la première fois au Crédac d’Ivry sur l’impulsion de Claire Le Restif en 2017, le panorama proposé par le Crac Occitanie en co-production avec le Brandhorst Museum de Munich, offre une vision plus complète et nuancée de sa démarche, les espaces du centre d’art occitan permettant un déploiement de plus grande ampleur. Dès lors si l’on y retrouve les thèmes liés au corps, à la domination masculine et aux assignations de genre, ils se voient confrontés à une vision plus intime et résiliente. Une possible reconstruction entre résistance et vulnérabilité des corps.

 

A to Z explore la totalité du vocabulaire formel et grammatical d’une artiste internationalement reconnue et formée au fameux Central Saint Martins College de Londres. Une première grille de lecture de sa démarche autour de la mode et du design textile qu’elle enrichit d’une réflexion sur la sculpture. La peau et ses substituts, le corps et ses extensions, la membrane, la prothèse, le fil, le tressage, le nœud, le réseau… autant d’enjeux qui irriguent les thèmes et les formes traversés dans un parcours qui tient d’une véritable dramaturgie dans des intensités variables qui retiennent le regardeur captif, tour à tour partie prenante ou impuissant.

Dès le parvis du Crac Slip of the Tongue, traduisible par lapsus, une langue géante traversée d’un piercing tranche avec la façade minimaliste de l’ancien entrepôt frigorifique devenu centre d’art. Un court-circuit visuel qui en annonce d’autres. Cette transition entre l’extérieur et l’intérieur amorcée, nous basculons dans une narration ni chronologique ni thématique à partir de certaines récurrences autour du vêtement, agissant comme une seconde peau selon l’un des leitmotivs de l’artiste. Cela peut paraitre un peu déroutant au départ même si peu à peu les différentes pièces du puzzle se mettent en place. Des enveloppes textiles qui prennent différentes apparences entre collants cousus façon patchwork Black Skin, maille de métal déclinée à l’infini, Uknit Bonn (tricote toi-même), abri fait en vêtements, tissus, branchages et cordes, Birch Field, jusqu’au très impressionnant mur de cordages où la grille devient architecture et point de bascule vers la salle suivante.

La moto tranchée au laser, la kalachnikov sciée en deux, les formes érectiles en latex noir, évoquant des obus ou les bombardiers américains du Vietnam, renvoient à une virilité triomphante dont l’artiste sape les fondamentaux avec persistance et une certaine dérision. Un corps affublé d’une blouse d’hôpital et d’une prothèse en tronc de sapin, The Doctor, une femme enceinte détricotée, un vagin (celui de l’artiste) moulé dans du nickel, Trophy, et son placenta qui flotte dans une solution de Kaiserling, conservé après la naissance de sa fille dont le titre, Origin of the World, fait le lien avec une certaine histoire de la peinture et du « male gaze » (Courbet), une dépouille de blouson de motard écartelée tel un écorché… il est question de béances et de vides, de mutations à partir d’éléments récoltés dans la nature (branches, troncs, bois, herbe séchée, fibres végétales..) ou issus de l’industrie automobile ou pétrochimique (squelette de châssis de Smart, pneu, arbre à came, cadre de vélo, plastique, polypropylène, latex…). L’on songe à l’Arte Povera, à Robert Morris et l’Antiforme, Joseph Beuys, Michelangelo Pistoletto et ses miroirs enveloppants, Supports/Surfaces et Claude Viallat avec ce grand cadre-filet qui contient des poupées, doudous, raquettes… même si sa pratique est suffisamment affranchie de toute filiation y compris avec certaines sculptrices comme Louise Bourgeois ou Isa Genzken. Elle dissèque au scalpel et pose un regard quasi chirurgical sur ce qui l’entoure.

La dernière salle du parcours agit comme une sorte d’opéra post apocalyptique inspiré de Beckett. C’est à la fois puissant et assez flippant. Des mannequins dégonflés, Deflated Figures, sont mis sur le banc de touche dans un décor de gymnase ou de scène, vide, tandis qu’au milieu est suspendu une grosse boule de cuir, entre punching-ball et testicule, Demolition ball/Cassius. Ces mêmes mannequins ont été mis en scène magistralement à la Biennale de Venise et l’on songe à certaines scènes de Metropolis et à l’aliénation de ces corps face à la machine. Au sol un sex-toy démembré offre son vagin à notre regard. Aucune porte de sortie si ce n’est une échelle faite en os de côtes de bœuf qui conduit le regard sur la coursive du 2ème étage où se tient l’exposition de Bianca Bondi.

Avec Objects as actants, des objets actants selon le titre emprunté à Bruno Latour, Bianca Bondi nous livre une nouvelle dérive magique à partir de phénomènes de cristallisation et de régénération du vivant. J’avais beaucoup apprécié son installation dans le Temple du Goût pour le Voyage à Nantes à partir de l’histoire de ce lieu de stockage de marchandises qu’elle transformait en autel olfactif et spirite. A l’occasion de sa résidence au sein de la Cité scolaire Paul Valéry à Sète, elle a impliqué lycéens et collégiens dans un processus de récolte d’objets abandonnés dans les canaux de la ville qui sont ensuite transformés sous l’action du sel et de plantes. Elle a aussi parcouru les brocantes pour ses compositions de différentes vitrines où l’on retrouve paysages et écosystèmes en devenir. L’œuvre la plus magistrale étant cette danse de filets de pêche bleutés et rouges pour le sang des poissons retenus prisonniers qui deviennent des fantômes lorsqu’ils sont abandonnés au fond des eaux constituant ce grand océan de plastique, un continent à soi tout seul. Quand l’alchimiste se fait lanceuse d’alerte. Une réponse juste et poétique au territoire.

 

 


INFOS :

 

Alexandra Bircken, A  – Z

Bianca Bondi, Objects as actants

Jusqu’au 22 mai

Crac de Sète

26, quai Aspirant-Herber
34200 Sète

http://crac.laregion.fr/exposition

 

Rendez-vous à venir : Nuit européenne des Musées, visite à deux voix de l’exposition d’Alexandra Bircken le 22 mai avec le chorégraphe Alban Richard et un médiateur en écho à la performance.

Défilé pour 27 chaussures de Mathilde Monnier et Olivier Saillard le 28 mai (partenariat TmS).