L’artiste, né en 1991 à Tunis et diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris après une formation d’architecte, participe à la 67 e édition du Salon de Montrouge avec l’installation MATAR, MATAR, MATAR, une œuvre qu’il avait déjà exposée récemment à la Maréchalerie et qui poursuit son chemin, comme un fleuve inlassablement creuse le lit de la mémoire.
Il y a parfois des déclencheurs opportuns qui viennent initier, voire provoquer des pratiques artistiques. Il en est ainsi d’une grande partie des œuvres de Chedly Atallah, qui se nourrissent d’anciens carnets de son grand-père retrouvés en 2016 à Tunis qui l’ont conduit à un questionnement sur la mémoire et l’oubli. C’est à partir d’extraits de ces carnets écrits entre 1924 et 1981 que l’artiste va élaborer ses projets en évoquant leur contexte historique dans des lieux toujours situés en Tunisie. Il s’agit de faire en sorte que la mémoire se laisse déborder par les événements relatés par son grand-père, Chadli Atallah, poète et partisan d’un monde arabe uni, et les récits spéculatifs et métaphoriques qu’elle génère selon un principe d’uchronie. Il va ainsi développer une sorte de mythologie qui, à partir des traces écrites de son grand-père, va se stratifier pour construire un imaginaire selon une réinterprétation de l’histoire à la fois personnelle et collective, incluant dans un premier temps les carnets et le monde arabe, puis le monde dans sa globalité. Il est guidé par deux notions fortes, celles du dédoublement et de l’aveuglement. Dédoublement vécu comme une sorte de déchirure que peuvent ressentir des sujets partagés entre des mondes divergents. Et aveuglement qui suggère à la fois la maladie des yeux de son grand-père et le regard aveuglé que nous portons trop souvent sur le monde.
MATAR, MATAR, MATAR se présente comme une structure tubulaire rappelant les échafaudages, clin d’œil évident à la formation d’architecte de Chedly Atallah. Comme pour la Maréchalerie, elle s’adapte au lieu qui la reçoit. Les éléments tubulaires forment un dispositif reliant ensemble des éléments épars, avec toutefois la sensation d’empêchement pour y accéder. Cette structure se présente comme le réceptacle imagé de l’eau, métaphore des souvenirs qui se liquéfient confrontés à la persistance de la mémoire. Elle est sciemment inachevée pour suggérer une incomplétude, et déborde de l’espace conventionnel pour troubler la perception de l’ensemble du dispositif. Elle est construite par strates, pareillement à l’empilement des pages du carnet fondateur du grand-père qui sont autant de fragments d’histoires intimes et collectives reliées ensemble.
Il n’est pas d’œuvre à la fois libératrice et initiatrice de nouveaux mondes qui fasse l’impasse de la mémoire. C’est le propos de l’artiste avec MATAR, MATAR, MATAR, nous conviant à une architecture de l’imaginaire qui plonge ses racines dans le terreau de la grande et la petite histoire.
Cette œuvre donnera lieu à un livre qui prendra la forme d’écrits documentés.
67e Salon de Montrouge
Du 6 au 29 octobre 2023
