Chaumont-sur-Loire ou la magie du lieu
Jusqu’au début des années 1990 le Château de Chaumont-sur-Loire, situé entre Blois et Amboise et ancienne propriété de Catherine de Médicis puis de Diane de Poitiers, était un peu le parent pauvre des châteaux de la Loire. En 30 ans tout a changé, la Belle au bois dormant s’est métamorphosée en Centre d’Arts et de Nature, et le Domaine de Chaumont-sur-Loire fait aujourd’hui partie des lieux incontournables du Val de Loire. Cette année il fête un triple anniversaire.
Tout a commencé en 1992, quand Jean-Paul Pigeat a créé le Festival International des Jardins, invitant chaque année une trentaine de créateurs paysagers à concevoir un jardin éphémère sur un thème donné. Un pari osé et finalement gagnant, le festival est devenu un événement mondialement reconnu et a boosté la fréquentation de Chaumont. Son décès prématuré en 2005 a provisoirement mis fin aux projets de développement des activités sur le domaine de 22 hectares.
En 2007, Chantal Colleu-Dumond prend la relève et dès l’année suivante lance les Saisons d’Art en invitant des artistes à investir les lieux et à créer des œuvres inspirées par la nature ou l’architecture. Au fil des ans, elle ouvre de nouveaux espaces d’exposition, des restaurants, et une nouvelle saison d’hiver dédiée à la photographie en 2017.
Elle invente un lieu magique, une sorte « d’utopie artistique multidisciplinaire et multisensorielle », un lieu vivant en perpétuelle métamorphose, où les œuvres d’art s’inscrivent harmonieusement dans un paysage sublime surplombant la Loire. Il faut prendre le temps pour s’imprégner de l’esprit particulier du lieu, Chaumont invite au voyage, dans le temps et dans l’espace et dans son propre être, son rapport au monde, à la nature et à la beauté.
Chantal Colleu-Dumond nous a révélé quelques secrets de la « réanimation » réussie d’un château longtemps endormi.
Quand vous avez pris la direction du Domaine de Chaumont, vous avez bien sûr continué le Festival des Jardins, mais vous avez également « hérité » d’un château et d’un immense parc jusque-là inexploités. Comment est née l’idée des Saisons d’art et de leur orientation spécifique ?
Je suis arrivée à Chaumont pour mettre en place un établissement public qui rassemblait le château, le Festival International des Jardins et un nouveau pôle qui était le centre d’art contemporain, suite au transfert du monument de l’État à la Région. Il avait été décidé que ce serait un centre d’art lié à la nature. C’était tout à fait passionnant parce qu’il n’y avait pas de lieu pour l’art à Chaumont. A part le parc, agrandi à 10 hectares en 2012, j’ai dû inventer des lieux d’exposition, en ouvrant les portes des granges et des écuries, en vidant des espaces de garage et de stockage, des greniers, des cuisines. Et au fond, ce qui était une difficulté au départ a plutôt été un élément stimulant pour les artistes.
Dès la première édition en 2008, vous avez frappé très fort en invitant Yannis Kounellis à créer une installation in situ dans les anciennes cuisines du château, d’autres artistes de renom ont laissé leur empreinte durable, Giuseppe Penone, Tadashi Kawamata, Anne et Patrick Poirier, Sarkis, Gabriel Orozco, El Anatsui, pour ne citer que quelques-uns. Et chaque année, vous invitez une quinzaine d’artistes à exposer temporairement. Comment les choisissez-vous ?
Il est important pour moi que les artistes invités et les œuvres qu’ils créent soient en harmonie avec l’esprit du lieu qui est très chargé poétiquement. Il est donc primordial de choisir des artistes qui sont en mesure de dialoguer soit avec les parcs, soit avec l’architecture. Je choisis ceux dont je pressens qu’ils seront à l’origine d’une sorte d’alchimie entre leur imaginaire et la force du lieu.
J’attache la même importance aux artistes dont les œuvres vont rester très longtemps, ce sont des commandes spécifiques financées par la Région, et les créations temporaires, dont certaines d’ailleurs vont rester au-delà de la saison estivale, notamment dans les parcs.
Votre sélection est savamment dosée, entre les artistes mondialement connus et d’autres plus discrets, en dehors des circuits établis de l’art contemporain ou un peu oubliés, ou encore en début de carrière.
Il y a parfois certaines injustices dans le système de l’art. Par exemple, je suis fière d’avoir montré Sam Szafran qui n’a pas eu les grandes expositions dans des institutions importantes qu’il aurait dû avoir, et de lui avoir quelque part rendu justice peu avant sa mort. A côté des artistes pas assez dans la lumière, il y a aussi des artistes moins connus que j’aime beaucoup mettre en valeur. Un certain nombre de ceux que j’ai montrés à Chaumont se sont retrouvés plus tard exposés à Paris. Je pense, entre autres, à Duy Ahn Nhan Duc et à Éva Jospin que j’ai invitées dès 2013.
Au fil des ans, vous avez ouvert de nouveaux espaces d’exposition dans le château même et dans les annexes. Il y a 5 ans, vous avez inauguré les nouvelles saisons d’hiver consacrées exclusivement à la photographie. Quelles sont vos motivations pour toutes ces « extensions du domaine » ?
Je pense qu’on doit toujours surprendre le visiteur. Je trouve intéressant de gagner des lieux pour l’art. Cela me vient de mon appétit de changement, de nouveauté, de découverte que j’aime partager avec les visiteurs. Pendant longtemps, j’ai exposé des photographes pendant l’été, mais ils n’attiraient pas assez l’attention, même un immense artiste comme Gursky. C’est de ce constat qu’est née la saison d’hiver dédiée à la photographie, un art auquel j’attache beaucoup d’importance. Cette année nous avons des expositions de Tania Mouraud, Raymond Depardon et Edward Burtynsky, entre autres. Grâce à cette programmation, nous avons pu multiplier par trois le nombre de visiteurs en hiver.
Quelles innovations et quels points forts nous attendent en cette année anniversaire ?
Nous allons avoir deux nouveaux espaces importants. Début mars, nous inaugurons une galerie digitale, profitant de la restauration d’une partie du château jusque-là inaccessible. Nous y avons gagné une salle de plus de 200 m², où nous présenterons en permanence des créations liées à l’art numérique. La première sera une création mondiale de l’artiste italien Quayola spécialement conçue pour Chaumont.
La deuxième nouveauté est l’ouverture d’un hôtel au mois de mai. Ce ne sera pas un hôtel comme les autres. Il offrira une expérience d’immersion dans la nature, dans l’art et dans la poésie. Nous y organiserons des rencontres, Les conversations sous l’arbre, qui nous permettront d’inviter des artistes, des spécialistes de l’environnement et du paysage, des scientifiques, des philosophes. L’expérience menée à Chaumont repose sur une philosophie qui est la célébration de l’art, de la nature, de la beauté du monde, d’une certaine forme d’exigence et d’hospitalité. Ces rencontres seront l’affirmation de ce que nous sommes au fond, du « genius loci », le génie du lieu.
Parmi les points forts de la Saison 15 de Chaumont-sur-Loire : une folie dans le parc historique créée par Miquel Barceló, trois sculptures monumentales de Jaume Plensa, une exposition rétrospective de Jean Le Gac et des installations in situ de Fabienne Verdier, Christiane Löhr et Evi Keller.
Infos pratiques :
15e Saison d’art
Du 2 avril au 30 octobre 2022
Domaine de Chaumont-sur-Loire
30e Festival International des Jardins
Du 21 avril au 6 novembre 2022
5e édition de Chaumont-Photo-sur-Loire
De novembre 2022 à février 2023