Les expositions de Charles Le Hyaric sont des invitations à explorer l’univers, le nôtre et celui de l’artiste. Ce sont souvent des installations closes sans être claustrophobiques, au contraire : le spectateur qui y pénètre s’évade dans un ailleurs spatial et temporel. Pour son exposition à la Galerie Papillon, l’artiste a choisi de montrer un ensemble de nouvelles pièces « hors installation » mais tout autant représentatives de son univers. Il s’en explique dans un entretien réalisé par Maya Sachweh.
Les titres de tes installations et expositions sont souvent énigmatiques. « Azar Azur » ne fait pas exception. Quelle est sa signification ?
Le mot azar rencontre le mot azur par hasard peut-être. Le hasard est une notion qui fait partie de mes réflexions depuis quelque temps. Cette idée que les choses se rencontrent de façon qui nous échappe fait écho à un certain mystère et aux limites de la connaissance de la physique et de la philosophie. C’est un mélange complexe qui ouvre une infinité de portes. Dans cette exposition la plupart des éléments qui sont présents dans les œuvres sont une juxtaposition d’objets que je glane et récupère dans mon quotidien. Il y a la rencontre entre moi et l’objet et la façon dont je le fais dialoguer avec d’autres, soit en prenant sa trace, son empreinte, soit en le fixant avec un autre.
Le mot azur renvoie au territoire où je me trouve depuis plus de 2 ans, c’est à dire la cité phocéenne Marseille. C’est une atmosphère, un paysage, une lumière, des matières, la mer, le ciel, des couleurs. Je m’imprègne de ce paysage quotidiennement à travers les baignades et les courses à pied dans les calanques. Cet espace méditerranéen fait également surgir toute une histoire qui m’est chère.
Parlons plus précisément de deux pièces qui se trouvent dans la première salle d’exposition et qui illustrent parfaitement les notions de hasard, de dialogue et de rattachement à un environnement, une culture, une histoire, de votre (et notre) relation à la nature et au monde. La première porte justement le titre de l’exposition, la deuxième, au titre poétique et toujours énigmatique « L’eau-delà », figurait sur le carton d’invitation.
Ces deux pièces sont la mise en forme de ce que je recherche, un équilibre entre la pensée et l’instinct, entre nature et culture, entre « caresse et coup de poing ». Dans le grand panneau Azar Azur, la façon très précise et en même temps hasardeuse d’appliquer la peinture à l’huile sur des morceaux de carton révèle un paysage qui semble s’évaporer. En même temps, ces bleus azuréens extrêmement lumineux deviennent presque hypnotiques, contemplatifs. C’est une porte d’entrée dans un paysage, une fenêtre, la mer mélangée au ciel, un peu tout à la fois. Et en haut de la pièce, une feuille d’agave séchée vient effleurer la surface bleue, c’est un végétal que j’utilise depuis que je suis à Marseille, il devient un élément très présent. Les gens qui la voient pour la première fois ne l’identifient pas tout de suite. On me demande s’il s’agit d’une peau d’un animal archaïque, jurassique, d’un tentacule abyssal, d’une créature étrange. C’est un élément mystérieux, à la croisée du vivant et du pétrifié, qui illustre parfaitement le point de tension que je recherche.
Pour la sculpture-objet L’eau-delà, j’ai assemblé de façon instinctive les trois éléments que j’ai trouvés pendant mes promenades dans les environs de l’atelier : un morceau de bois qui est devenu le socle, une roue de vélo dont j’ai coupé une grande partie des rayons, et un corail blanc que j’ai placé au milieu. C’est devenu un objet totem en quelque sorte. Là aussi, les mêmes intentions sont présentes. L’objet évoque autant un bateau, le soleil sur la mer avec un corail en suspension entre terre et ciel. Il y a un vers de Rimbaud que j’aime particulièrement : « l’éternité c’est la mer alliée avec le soleil ». Il y a peut-être un peu de ça.
Dans ton travail, et notamment dans tes installations immersives, tu te réfères très souvent à la mythologie et aux philosophes de l’Antiquité. Tes installations sont des sortes de cosmogonies. Dans quelle mesure tes pièces « domestiques », sculptures, peintures et dessins, sont-elles reliées à tes installations ? Sont-elles indépendantes ou complémentaires ?
Les pièces domestiques sont juste des branches différentes des installations (je n’aime pas ce mot, je préfère les appeler des jardins) mais l’arbre est le même.
Mes réflexions, mes gestes, sont les mêmes dans les deux branches. A l’image d’une cosmogonie, le récit des deux branches s’entremêle, un peu comme dans une anagramme, je peux donner une autre narration avec les mêmes lettres. A l’image d’un monde païen, l’idée de décrire une partie du réel avec une infinité de liens, de façon poétique, me fascine.
Si je devais trouver une comparaison, en « toute modestie bien sûr », j’essaye de créer des étoiles et à travers cela le dessin qui va les faire exister dans une forme que l’on appelle constellation. En fait, je mime ce que l’on perçoit de ce grand tout nommé nature.
Je viens d’une formation académique où j’ai toujours dessiné, sculpté et peint, ce sont des techniques qui sont presque vitales. J’ai toujours le besoin de créer avec ces médiums, tout le temps, c’est un plaisir, une échappatoire, et surtout un socle.
Entre les pièces domestiques et les installations, il y a des synapses permanentes. L’un nourrit l’autre et inversement. La différence principale entre les deux est la notion de temps. Lorsque je fais une installation, je ne sais pas ce qui va se passer, en revanche, la seule chose qui est sûre c’est qu’il y a une date butoir, un jour défini à l’avance où la mise en place doit prendre fin, alors qu’à l’atelier, même s’ il y a des travaux qui se réalisent dans un temps long ou un temps bref, je choisis à ma guise le jour où la pièce va quitter l’atelier.
Et il y a d’autres éléments qui entrent en ligne de compte dans les jardins : c’est la présence du son, de l’odeur, de la totalité des sens, l’alliance du paysage mental qui dialogue entièrement avec l’œuvre physique qui s’inscrit, elle, également dans l‘espace. C’est un travail parfois proche de la performance où les cartes sont rebattues systématiquement, il n’y a pas de recette, c’est ce qui m’intéresse et me motive : une quête perpétuelle.
Je voudrais que tu reviennes un peu plus explicitement sur les notions de temps et de temporalité qui me semblent essentielles, et même existentielles, dans ton travail.
Oui tu as raison, cette notion de temps est essentielle dans mon travail. Dans les trois notions fondamentales qui sont la matière, l’espace et le temps, c’est le temps qui est le plus insaisissable. Nous pouvons nous faire une image de la matière, même si la physique quantique reste difficilement représentable, notre cerveau propose des réponses assez définies. Pareil pour l’espace, nous pouvons nous représenter des paysages, une étendue, un chemin. Mais le temps c’est beaucoup plus compliqué, autant physiquement que philosophiquement.
C’est un mot que l’on utilise dans tous les sens et qui trouve donc une infinité (c’est le cas de le dire) de définitions et d’applications dans le monde qui nous entoure. C’est en cela que le temps est un élément central dans mon travail, je joue avec ces notions dans presque tous mes projets.
J’ai créé récemment une installation où l’action du temps était due aux conditions météorologiques et aux processus naturels de régénération et transformation des matières. Ce projet, en lien avec le texte de Lucrèce « De la nature des choses », était composé de plusieurs tables situées dans le jardin de la Fondation Francès à Senlis, sur lesquelles étaient posés de multiples éléments : organiques, dessins, pots, liquides etc… Au cours des mois, l’installation s’est métamorphosée, les liquides et ingrédients organiques régulièrement renouvelés permettaient aux insectes et autres spécimens vivants de venir sculpter et dessiner sur la pièce. Des dessins apparaissaient, des toiles se transformaient, des herbes poussaient, l’œuvre devenait vivante et mouvante.
Dans l’exposition à la Galerie Papillon, il y a une pièce « Le caprice des pierres » qui est une sorte de condensé de matériaux que j’utilise fréquemment : la peinture, le sucre, les pigments dorés et l’eau de javel. Elle est le résultat d’un mélange de gestes délicats : au départ, j’enlève la fine couche de papier sur l’ensemble de la surface du carton, dans un second temps j’applique dans un ordre bien précis les matières qui vont rentrer en collision et créer avec le temps des réactions chimiques d’oxydation. La couleur et l’apparence sont obtenues par l’interaction des produits entre eux, le turquoise apparaît, les reflets s’accentuent. J’ai ajouté des pierres et des coraux, joints par un fil de laiton doré, qui sont suspendus dans le vide, j’avais l’idée en tête des atomes liés entre eux par hasard qui tombent dans l’espace vide, dans un paysage lumineux et mystérieux.
INFOS:
Charles Le Hyaric, Azar Azur
Galerie Papillon
13 rue Chapon, Paris 3e
Prolongée jusqu’au 20 juin