CARTE BLANCHE À JAN DIBBETS À LA BNF

Par Gilles Kraemer16 octobre 2018In Articles, 2018, Revue #20

Rencontre inédite entre le haut Moyen-Âge et l’art contemporain, l’exposition met en regard cinq manuscrits enluminés copiés entre 847 et le XIIe siècle dont De laudibus sanctae crucis ou Louange à la sainte croix (810-814) livre de Raban Maur (780-856) théologien et grammairien de la renaissance carolingienne et le Panegyricus Constantino missus du Romain Optatianus Porfyrius (éloge panégéryque de Constantin 1er), avec une trentaine d’œuvres choisies par Jan Dibbets, dans un dialogue que sépare plus d’un millénaire.

Pour l’artiste néerlandais (1941), l’art ancien constitue l’une de ses sources d’inspiration dans cette présentation des manuscrits enluminés aux côtés de ses propres œuvres et celles de Carl Andre, Alan Charlton, Ad Dekkers, Donald Judd, Sol LeWitt, Richard Long, François Morellet, Niele Toroni et Franz Erhard Walther.

Le titre de l’exposition Make it new reprend un recueil d’essais littéraires de 1934 d’Ezra Pound dans lequel l’écrivain « réactualise à partir de son point de vue moderne les qualités littéraires et poétiques médiévales« .

Cette présentation explore les rapports entre les œuvres contemporaines et ce haut Moyen-Âge étonnamment non figuratif de Raban Maur. Ce moine du monastère de Fulda, en Germanie, tire sa postérité de Louange, vouée à la gloire du Verbe divin, suite de 28 poèmes figurés, structurés autour du signe matriciel de la croix, confinant à l’abstraction.  » Ces écrits sont disposés en carrés ou en rectangles et comportent toujours le même nombre de lettres. En leur sein sont insérées des figures cruciformes ou disposées en forme de croix, contenant elles-mêmes d’autres vers « .

Cet ouvrage « entre en résonance avec la réflexion esthétique qui est développée, dans l’art contemporain, autour des notions de géométrie, d’espace, de perception, et autour des liens étroits qu’entretiennent l’écrit et l’image« , dans un parallèle saisissant avec des artistes minimalistes, conceptuels et du land art qui occupèrent la scène artistique dans les années 1960-70 et au-delà.

L’œuvre de Raban Maur, toute entière tendue vers l’exaltation du Christ, dans son esthétique abstraite, offre des analogies avec ces artistes explorant les voies de renégociation de l’espace. Jan Dibbets parle « d’un coup de foudre » après avoir vu l’exemplaire de la B.n.F., ces « pages magiques remplies de lettres, mathématiquement ordonnées avec des formes simples et colorées – cercles, croix, triangles, carrés -, harmonieusement intégrées dans le texte, formaient un magnifique ensemble abstrait« .

Quelques œuvres retenues par Jan Dibbets, Charlotte Denoël et Erik Verhagen ?

Jan Dibbets : Blue Vertical, New Colorstudy (1976-2012), ou la pureté du bleu dans ses photographies.

Carl Andre avec 8005 Mönchengladbach Square (1968), une composition de 36 carrés formant un carré, ou la longue suite de phrases tapées à la machine à écrire à la façon des Anagrammes d’Apollinaire.

Sol LeWitt : Four Basic Kinds of Straight Lines and All Their Combinations in Fifteen Parts (1969), ou l’étude de 16 carrés dessinés grisés différemment.

Franz Erhard Walther : Ort im Feld (1967), dont les crayons et gouaches se rapprochent de la religiosité de Raban Maur.

 

Par Gilles Kraemer


Infos :

Make it new. Conversations avec l’art médiéval. Carte blanche à Jan Dibbets

BnF François-Mitterrand

Quai François Mauriac, Paris 13e 

du 5 novembre au 10 février 2019