CAMILLE SAUER DAME LE PION

Par David Oggioni17 janvier 2020In Revue #24, Articles, Portrait, 2020

Déjà toute petite Camille montait dans les arbres, et n’avait peur de rien. Par son grand-père pianiste et urbaniste elle se sensibilise à la fois à la musique en termes de dynamique des formes et à l’architecture, comme art de la construction sociale, pendant qu’elle se passionnait pour Beethoven, compositeur sourd – ou comment le don de créer peut également être offert aux plus faibles.

Après être passée par un conservatoire de musique et une école d’architecture, elle intègre à Paris les beaux-arts d’où elle sortit avec les félicitations du Jury grâce notamment à Emmanuel Saulnier qui l’oriente vers la sculpture non sans une certaine idée de l’ordre. Pierre Alferi lui met entre les mains le livre fondateur de son esthétique radicale. Dans L’art de la mémoire1, elle découvre que cette dernière procède tel une grille sur laquelle vont s’insérer les informations de notre existence. Très vite, le concept de l’échiquier sur lequel vient se positionner le rouge – couleur qui dans l’antiquité marquait, en notation musicale, le temps où il fallait changer la règle.

Allié à deux autres découvertes majeures, Kandisky – pour son abstraction musicale entre ligne et couleur, et Beuys par son concept de sculpture sociale visant une société plus juste, ce qui va se jouer depuis les premières pièces de Sauer, c’est une analyse du politique autour de l’échec et mat : ou l’étude du monde de la mise en abime du carré, dans lequel se joue, comme en un suprématisme teinté par Lissitzky, toute la tragi-comédie humaine.

Par des mises en espace, diagrammes, performances et sons, elle questionne la mainmise de l’église, les enjeux géopolitiques, la mécanique du discours, l’unité du corps, la dictature de l’information, la place du silence, les possibles inexploités, le temps et son changement, la double réalité, l’amplification de l’existence, Marianne et l’identité, réformisme ou révolution, l’avènement de l’artiste, le fonctionnaire le marginal et la neurodiversité, le rond ou le carré.

Elle propose, via une étude de la psychologie des pièces, un autre regard sur le pouvoir de la Reine dans l’échiquier et intègre au jeu par ajout d’une nouvelle pièce, à qui elle attribue un passeport, la notion de hasard.

Nicolas Laugero Lasserre acquiert, suite au Prix Icart 2018, sa pièce désormais en exposition permanente à la Station F : entre un Jeff Koons et un Ai Weiwei, où les start-uppeurs peuvent, sur cette installation participative composée d’onze échiquiers-systèmes, jouer le monde via leur vision du temps.2

Après avoir réalisé une œuvre radiophonique à France Culture et écrit trois essais en accès libre sur son site, Camille Sauer aujourd’hui passe du constat à l’action : souhaitant combler des vides dans le milieu culturel : après avoir publié un Manifeste3 appelant les artistes à s’engager et faire respecter leur rôle incontournable dans la société, elle cofonde une série de 5 associations se proposant de faciliter leurs actions, productions, visibilité et interconnections ; elles réunissent actuellement plus de 100 membres contributeurs issus de divers univers du monde de l’art.

Au sein du collectif RPZ, elle nous propose un voyage dans l’espace mental en tant que système, autour de la notion de cellule de crise, à savoir cet entre-deux où tout peut basculer. Nous ne pouvons que lui faire confiance pour cela.


INFO PRATIQUES :

Into one’s mind – Commissaire Bruno Dubreuil
RPZ, 49 av. Jean Jaurès , 93300 AUBERVILLIERS

du 28 février au 8 mars 2020